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WILSON EDMUND (1895-1972)

Le musée imaginaire de la culture américaine

Pendant cinq décennies il a ainsi écrit des centaines d'articles qui constituent une sorte de musée imaginaire de la culture américaine. Tantôt il regroupe ces textes sous forme de chroniques, sans leur chercher d'autre unité que l'atmosphère particulière d'une époque. Tantôt il s'attache à traiter certains auteurs selon une optique commune, James et Dickens entre autres dans The Wound and the Bow (1941), par exemple, dans lequel il tente d'élucider le mystère de la création par l'analyse détaillée de certaines blessures psychiques subies pendant l'adolescence. Enfin trois grandes études, auxquelles Wilson consacrera de nombreuses années, Axel's Castle (1931), To the Finland Station (1940) et Patriotic Gore (1962), s'attaquent à des problèmes plus vastes, brossent des fresques plus amples afin d'étudier des situations culturelles fondamentales. Il s'agit dans le premier ouvrage de la formation de la sensibilité contemporaine depuis le symbolisme jusqu'à Joyce et Gertrude Stein ; dans le deuxième, des origines et du cheminement de la pensée marxiste jusqu'à la révolution russe ; dans le troisième enfin, des conséquences d'un événement crucial de l'histoire américaine, la guerre de Sécession, dans laquelle Wilson tente de trouver les causes d'un affaiblissement de la morale privée et publique, de la corruption généralisée provoquée par la dictature de l'argent et des affaires. Dans Patriotic Gore, la satire et la nostalgie l'emportent parfois sur l'enquête littéraire et historique, les problèmes personnels sur le détachement scientifique. Déjà avec son premier ouvrage autobiographique publié six ans plus tôt, A Piece of My Mind (1956), Wilson avait exprimé son désaccord avec son époque, son amertume de ne pouvoir influer sur le cours de celle-ci. Dans A Prelude (1967) et Upstate (1972), il se retire dans sa tour d'ivoire, se penche sur son passé et, tel Thoreau dans Walden, condamne le présent au nom de la verte Amérique défunte, pratiquant la résistance passive en refusant le paiement de l'impôt. Il mourut dans sa retraite de Talcottville, dans l'État de New York.

Certains ont reproché à Wilson son approche biographique et historique, son absence de curiosité pour les théories littéraires. Son respect pour Taine, son admiration pour Sainte-Beuve disent assez qu'il s'intéresse plus au Zeitgeist qu'aux œuvres, plus aux hommes qu'à leurs livres. Ou plutôt les livres sont pour lui les acteurs d'un conflit universel. C'est l'homme et non l'artiste qui, chez Wilson, interroge d'autres hommes, tente de les comprendre, et leur œuvre est pour lui un moyen, et non une fin. La critique devient ainsi une aventure spirituelle, celle des rencontres d'un esprit vigoureux qui, tout en éclairant admirablement le sens d'un ouvrage, s'approprie, au terme d'un dialogue avec l'autre, ce qui est viable, assimilable, utilisable.

Mais l'écart s'approfondira entre le moi et l'univers, l'échange ne sera plus possible, le dialogue vital deviendra monologue amer, soliloque rétrospectif : les derniers ouvrages témoignent du refus croissant d'un monde où Wilson ne trouve plus de réponses à ses questions, plus d'écho à ses problèmes.

— André LE VOT

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Autres références

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    • Écrit par
    • 2 714 mots
    • 2 médias
    ...poétique et du jugement moral, du goût pour l'introspection et la satire, de la veine comique voisinant avec un lyrisme grave et contenu, le critique Edmund Wilson, qui fut l'ami et le mentor de Fitzgerald, proposait, en bon disciple de Taine, d'y lire la convergence de trois facteurs : l'ascendance...