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GLISSANT ÉDOUARD (1928-2011)

Une pensée de la relation

L'œuvre de Glissant se construit contre l'isolement et l'aliénation, contre les lacunes de la mémoire et contre les déchirures du tissu social antillais. Le titre d'un de ses essais, Poétique de la relation (1990), a ici valeur de symbole. L'œuvre se veut mise en relation : des hommes au temps et à l'espace, à l'histoire et au paysage ; de la Martinique à ses voisines insulaires comme à l'ensemble américain... La relation devient le concept central de sa pensée et le principe de composition de l'œuvre. Dans l'archipel des livres, chaque ouvrage est relié à tous les autres. Les romans s'organisent en un cycle où réapparaissent les mêmes personnages, leurs parents ou leurs descendants. Les formes diverses – roman, poésie ou essai – échangent figures, motifs et « topoi », métissent les genres et les langues littéraires.

L'intention du poète Glissant a d'abord été de dresser, face à la poésie de Saint-John Perse, qu'il admire, mais dont il récuse les complaisances pour le monde colonial de son enfance, une poésie d'aussi haute facture, d'aussi belle inspiration antillaise, mais non limitée aux « éloges » de l'art de vivre des maîtres blancs. Les Indes sont l'épopée de la traversée en ouest non plus des conquérants chantés dans Vents par le poète guadeloupéen, mais des esclaves transportés par les navires négriers.

Le travail poétique conduit Glissant à méditer, à forger son langage, entre écriture et oralité, en relation au créole, gardant ainsi la trace de l'Histoire, marquant la place du corps social antillais. Dans leur densité minérale ou dans l'élan de leur cri, les poèmes convient à explorer et étreindre l'« innommé pays ». Même quête dans les romans qui donnent à la langue poétique l'espace où se déployer.

Au cœur du massif romanesque, un chef-d'œuvre, Le Quatrième Siècle, rassemble la mythologie antillaise autour des deux figures qui commandent l'inconscient historique antillais : l'esclave de plantation et le « marron ». La construction complexe de cette œuvre luxuriante fait participer à l'anamnèse d'une collectivité : elle invite à parcourir en tous sens les quatre siècles de l'histoire martiniquaise moderne, à remonter à l'origine tout en déconstruisant de trop commodes mythes d'origine : « Il me semble que notre projet littéraire se noue au ventre de la bête : dans l'antre du bateau négrier » (Poétique de la relation).

Tous les romans de Glissant, et en particulier La Case du commandeur, rencontrent la « folie antillaise » : folie d'une société ballottée de rupture en rupture, mal racinée dans son histoire et sa géographie. Les essais rassemblés dans Le Discours antillais analysent le mal sous tous ses aspects et dans toute sa profondeur : les Antilles sont malades d'avoir subi une politique « réussie » de colonisation absolue. En face de ce diagnostic impitoyable, il existe un remède ; que dessine la notion d'« antillanité » : réappropriation de soi-même, de son histoire, de son espace, droit au plurilinguisme (cessant d'opposer français et créole), reconnaissance des bienfaits du métissage culturel, etc. Création et réflexion deviennent indissociables, comme en témoigne la parution d'essais tels que Faulkner, Mississippi (1996), Introduction à une poétique du divers (1996), Traité du Tout-Monde (1997), ou encore Une nouvelle région du monde (2006).

Comment ne pas situer Glissant au premier plan dans la production intellectuelle et littéraire de la fin du xxe siècle ? La lucidité et l'ampleur de sa réflexion, l'éclat et la maîtrise de sa parole poétique ont imposé l'évidence qu'il faut désormais compter avec le foyer culturel caraïbe.

— Jean-Louis[...]

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Édouard Glissant - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

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