MANET ÉDOUARD
L'œuvre et la vie
On peut distinguer trois moments importants dans l'activité de Manet. D'abord celui qui consiste à prendre toute la mesure du Salon officiel. On sait que le jeune Manet était le fils d'un magistrat parisien qui aurait été davantage satisfait de le voir entrer à l'École navale que dans un atelier de peintre. Une traversée de l'Atlantique sur le Havre et Guadeloupe, qui met un terme à sa vocation d'officier, restera cependant dans le souvenir d'un artiste qui ne reconnaît vraiment que deux univers : Paris et l'Océan. L'élève de Thomas Couture, de 1850 à 1856, présenté souvent comme rebelle ou frondeur, fut surtout attentif à un enseignement novateur qui le marque profondément mais dont il n'a voulu, à peu près, retenir que le Buveur d'absinthe (Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague), refusé au Salon de 1859. Malgré des qualités naturelles qui lui sont reconnues, le peintre fait lui-même l'expérience d'une difficulté profonde à composer : La Musique aux Tuileries (1862, National Gallery, Londres) et Le Vieux Musicien (1862, National Gallery, Washington) permettent de constater les termes presque contradictoires d'une recherche qui oscille entre l'observation contemporaine et l'éclectisme réaliste. Si Manet est déjà tout entier dans La Chanteuse des rues (1862, Museum of Fine Arts, Boston) ou Lola de Valence (1862, musée d'Orsay, Paris) dont Baudelaire a su définir le caractère troublant, c'est davantage avec la formule du Déjeuner sur l'herbe qu'est trouvé le rapport particulier du style au sujet définissant, aux yeux de l'auteur, un tableau de Salon. Avec la provocation, il faut une mise en cause esthétique plus générale, portant autant sur la source de la composition empruntée à Raphaël que sur le thème de la partie de campagne romantique. Le spectateur semble engagé, malgré lui, dans un propos dont semblent déjà discourir les figures. Dans le même mouvement, Olympia, à travers le nu de la tradition classique dérivé de Titien, porte l'art de Manet au chef-d'œuvre, non parce que Victorine Meurent incarne simplement une courtisane réaliste (d'autres tableaux auraient été plus choquants à cet égard) mais surtout parce qu'elle composait tout son personnage des stéréotypes de l'érotisme contemporain brutalement désignés et pris à la lettre. L'outrage, d'une violence inouïe, semblait plus complet encore avec l'envoi, au même Salon, d'un Christ insulté (The Art Institute, Chicago). Manet, pourtant, ne cherchait pas le scandale ni même la parodie, mais bien plutôt, la sincérité, la naïveté de ses figures : « L'Olympia, quoi de plus naïf », aurait-il déclaré pour bien marquer le primat de la vue et de l'expérience sur l'imagination nécessaire à la peinture d'histoire. Au même titre que Le Fifre (musée d'Orsay, Paris) ou L'Acteur tragique (National Gallery, Washington), Olympia possédait un degré d'existence et de réalité qui ne peut provenir que d'une relation étroite de l'individu avec son destin. Rouvière en Hamlet, peint l'année même de sa disparition, semble le démontrer, et L'Exécution de Maximilien (Kunsthalle, Mannheim), après deux autres versions entreprises à la suite de l'événement du 19 juin 1867, ne fait que porter ce caractère dans le cadre de la peinture d'histoire dont Manet cherchait jusque-là à se dégager. Le Trois Mai de Goya est placé au cœur d'une relation polémique entre le peintre et l'institution, car le tableau et la gravure qui en reprend le sujet rencontrent la censure en 1869. Le portrait d'Émile Zola au Salon de 1868 (musée d'Orsay, Paris) a bien été perçu comme une déclaration très décidée en réponse aux textes publiés par le critique en 1866 et en[...]
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Écrit par
- Éric DARRAGON : professeur émérite d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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