MÖRIKE EDUARD (1804-1875)
Une rose au bord d'un abîme
Un déséquilibre natif, les déchirements de sa jeunesse, la nécessité d'entreprendre une carrière de clerc sans vocation profonde, les intermittences d'un cœur épris de l'amour, mais instable, et ses remords d'être infidèle n'expliquent que trop cette angoisse. La sphère dans laquelle il cherche refuge, Souabe poétisée ou pays imaginaire tel que l'Orplid de sa jeunesse, a les irisations et la fragilité d'une bulle de savon ; Mörike emploie l'image de la rose qui fleurit au bord d'un abîme « où frissonne et mugit mystérieusement une source noire ». L'amour même ouvre les gouffres du péché et de la mort, découverts dans l'or brun des yeux d'une jeune fille qu'il appelle l'Étrangère (Peregrina). Si le poète, dans l'une de ses pièces brèves, prie Dieu de lui épargner les grandes joies et les dures peines, c'est qu'il redoute de perdre un équilibre fragile ; rien de prudhommesque dans sa recherche de la quiétude, née de sa terreur devant des énigmes insondables ; au reste, cet ecclésiastique nonchalant, mais aimé de ses paroissiens et qui s'entourait d'enfants, d'animaux et de fleurs, n'a pu longtemps supporter l'existence paisible du pasteur souabe, dont il avait tant rêvé, et s'est fait mettre à la retraite avant ses quarante ans. Dans sa jeunesse, il composait volontiers ses poèmes à cette heure « légère comme un duvet du petit matin obscur », et son lyrisme est situé, en effet, à la limite de la lumière sereine et de l'ombre menaçante, lourde de présences vagues. Le romantisme noir de son Maler Nolten (1832), où il s'est dédoublé en deux amis, le peintre tourmenté et l'acteur désespérément cynique, était un aveu ; à ce roman pathétique, mais mal construit, on préférera le plus exquis de ses récits, Le Voyage de Mozart à Prague (Mozart auf der Reise nach Prag, 1856) dont le sujet et le traitement sont caractéristiques : Mozart à l'aube de ses plus grands succès, mais talonné par la mort ; l'humeur plaisante, la Gemütlichkeit d'un génie sans prétention, mais son angoisse devant la fuite du temps ; l'allégresse d'une musique gracieusement bondissante, mais les sombres avertissements du finale de Don Giovanni.
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Écrit par
- Henri PLARD : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, professeur de littérature allemande à l'Université libre de Bruxelles et à la Vrije Universiteit Brussel
Classification
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