ARROYO EDUARDO (1937-2018)
Né à Madrid le 26 février 1937, Eduardo Arroyo, qui a vécu et travaillé à Paris de 1958 à 1982 en effectuant quelques séjours en Italie et à Berlin, est l'un des peintres européens les plus offensifs qui aient été révélés depuis les années 1960. Élève de l'école de journalisme de Madrid, il est également écrivain : les livres qu'il a fait paraître en Italie (Opere et operette, 1973 ; Il poiviene prima, 1970) et en France (Panama Al Brown, 1982) ou encore des œuvres à caractère autobiographique (Deux Balles de tennis, 2017) l'ont prouvé. Sa peinture doit ses qualités à cette double et permanente volonté : donner à entendre et donner à voir. Il parvient à convaincre ses adeptes d'autant plus facilement que l'humour, sa forme la plus naturelle d'intelligence et de langage, n'est jamais absent de ses affirmations plastiques et littéraires les plus abruptes. Fidèle à la philosophie de Cervantès, il a adopté à l'égard de toutes choses, esthétiques, psychologiques, politiques, et même sportives – Arroyo est un aficionado de la boxe, plus que de la tauromachie –, le point de vue du rieur subversif. Ce qui ne l'a pas empêché de militer sérieusement contre le franquisme en s'exilant en France dès 1958, à l'âge de vingt et un ans, et de consacrer à ce combat non seulement des livres (Trente-Cinq Ans après, 1974), mais aussi de nombreuses peintures : La femme du mineur Pérez Martinez est rasée par la police, 1970 ; Portrait du nain Sébastien de Morra, bouffon de cour, né à Cadaquès, dans la première moitié du XIXe siècle, 1970. Une facture ironiquement conventionnelle, parfois sèche et dure, souvent lyrique et provocante, le rapproche de Picabia plutôt que de Picasso : à lui seul, Arroyo renouvelle l'esprit radical de Dada en y ajoutant quelque chose qu'on pourrait appeler « la tragédie de la dérision ».
À Paris, où, sous l’appellation de « Figuration narrative », il a formé avec Gilles Aillaud et Antonio Recalcati un groupe très actif et créateur à partir de 1964, Arroyo a joué un rôle déterminant dans le développement de la nouvelle figuration, entreprise par Jean Hélion, à qui il a rendu hommage. Mais ce rôle ne s'est jamais confondu ni avec celui d'un pop'artiste ni avec celui des nouveaux réalistes, auxquels il s'est violemment opposé, en particulier en 1965, dans la série des tableaux intitulée Vivre et laisser mourir ou La Fin tragique de Marcel Duchamp ; réalisée avec Aillaud et Recalcati en 1965, elle fut exposée dans le cadre de la manifestation organisée par Gérald Gassiot-Talabot : La figuration narrative dans l'art contemporain. En 1967, le détournement qu'il a pratiqué, de manière aussi poétique que politique, des tableaux les plus célèbres de son compatriote Joan Miró, dans la série Miró refait ou les Malheurs de la coexistence, ont fait de lui un adepte précoce des idées de Guy Debord et des situationnistes.
Sa verve et sa liberté créatrices ont pris encore plus d'ampleur pendant les années 1970 (Gilles Aillaud regarde la réalité par un trou à côté d'un collègue indifférent, 1973 ; Le Meilleur Cheval du monde, 1975 ; Habillé descendant l'escalier, 1976, où le peintre semble s'interroger sur la fonction ambiguë des avant-gardes contemporaines, et pas seulement sur le mythe de Marcel Duchamp). Détournements de la carte postale, de la carte-photo dédicacée, des affiches et des films publicitaires, ses peintures sont le procès de l'image peinte, sinon de la représentation elle-même. Mais ce procès, que l'on pourrait croire impitoyable, sans appel, plaide à la fois l'innocence et la culpabilité du peintre face à l'histoire. En 1975, il séjourne une année à Berlin et se détourne momentanément de la peinture : il transcrit dans des tapis de caoutchouc noir sa rencontre avec les travailleurs[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alain JOUFFROY : écrivain
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Autres références
-
AILLAUD GILLES (1928-2005)
- Écrit par Jean JOURDHEUIL
- 790 mots
Né en 1928 à Paris, le peintre Gilles Aillaud, fils de l'architecte Émile Aillaud, étudia la philosophie après guerre, puis revint à la peinture qu'il avait pratiquée avec assiduité durant son adolescence. Son devenir-peintre n'eut pas lieu dans une école des Beaux-Arts mais silencieusement, dans un...
-
GASSIOT-TALABOT GÉRALD (1929-2002)
- Écrit par Jean-Luc CHALUMEAU
- 891 mots
Gérald Gassiot-Talabot, né à Alger le 13 novembre 1929, est mort à Paris le 13 juin 2002 ayant accompli une double et brillante carrière. Éditeur imaginatif (il fut notamment l'inventeur du Guide du Routard lorsqu'il dirigeait les Guides bleus chez Hachette) et critique d'art capable d'imprimer sa...