ÉDUCATION Économie de l'éducation
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L'approche économique contemporaine de l'éducation s'est développée à partir de la fin des années 1950 avec les travaux de Theodore Schultz (Prix Nobel 1979, Gary Becker (Prix Nobel 1992) et Jacob Mincer qui ont fondé la théorie du capital humain. Selon cette théorie, les compétences acquises dans le système d'enseignement (école, collège, lycée, université, enseignement et formation techniques et professionnels, etc.) augmentent la productivité des individus et accroissent les revenus qu'ils tirent de leur travail. En d'autres termes, elles constituent une forme de capital dont la particularité est d'être « incorporée » dans les personnes qui la détiennent, d'où son nom de capital humain. L'éducation est représentée comme un investissement en capital humain : les individus décident de la durée et du contenu de leurs études en fonction de leurs coûts ainsi que des bénéfices qu'ils espèrent en retirer. De ces décisions résulte la demande d'éducation ; le système d'enseignement est l'offre qui vient répondre à cette demande. L'enseignement est conçu comme un processus de production de capital humain dont on peut analyser l'efficacité, c'est-à-dire la façon dont les dépenses d'éducation sont traduites en résultats scolaires.
Les préoccupations des fondateurs des systèmes d'enseignement modernes en Europe aux xviiie et xixe siècles n'étaient pas principalement économiques, mais plutôt religieuses, militaires ou politiques. En France, les fondateurs de l'école républicaine lui donnaient pour mission de former esprits et citoyens. Depuis lors, la prise en compte de la dimension économique de l'éducation s'est imposée : les liens entre l'éducation, les salaires, le chômage, la croissance économique et les inégalités sociales sont au cœur du débat public. À l’échelle mondiale, les Nations unies avaient inscrit l'universalisation de l'enseignement primaire parmi les « Objectifs du millénaire » à atteindre en 2015 pour réduire la pauvreté. Éducation et formation professionnelle font partie des stratégies de développement grâce auxquelles les pays à bas revenu d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud, comme les pays à revenu intermédiaire d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est, espèrent reproduire le « miracle » survenu en Asie de l’Est. Qu’ils soient universitaires, fonctionnaires des ministères des Finances ou de l’Éducation, ou employés par des organisations internationales, des agences d’aide au développement ou des organisations non gouvernementales, les économistes de l’éducation exercent aujourd’hui une influence certaine sur les politiques publiques d’éducation. Il est donc utile de connaître les grands traits de ce champ de la science économique très représentatif de l'évolution contemporaine de la discipline.
Quels sont les déterminants des niveaux d'éducation atteints par différents individus ? Comment organiser le système d'enseignement pour que les ressources investies se traduisent par un accroissement du capital humain de la population ? Quels sont les effets de l'éducation sur les individus et sur la société ? C'est à ces questions que l'économie de l'éducation entend répondre.
Celle-ci comporte trois corpus : l'analyse des décisions individuelles qui constituent la demande d'éducation, celle du système d'enseignement qui en constitue l'offre, et enfin la mesure des effets de l'éducation sur les individus et la société.
La demande d'éducation
Analyse théorique de l'investissement en capital humain
La théorie économique de la demande d'éducation, due à Gary Becker, repose sur l'idée que les individus déterminent leur parcours scolaire et universitaire de façon rationnelle, en fonction du rendement de l'investissement en capital humain qu'il représente. Ce rendement est la différence entre les bénéfices de l'éducation, qui incluent notamment des revenus du travail plus élevés reflétant la productivité accrue des travailleurs les mieux formés, et les coûts de l'éducation, qui sont de deux ordres. Il existe, d'une part, des coûts « directs », frais de scolarité et autres dépenses nécessaires à la poursuite des études, et, d'autre part, des coûts « d'opportunité », à savoir les revenus qu'il aurait été possible de percevoir en travaillant plutôt qu'en étudiant. Les bénéfices ont tendance à décroître avec le niveau d'éducation (le gain de salaire permis par la poursuite des études est de moins en moins élevé) alors que les coûts augmentent (plus on a déjà étudié, plus le coût d'opportunité des études est élevé). Le niveau d'éducation optimal est celui où le bénéfice d'une année d'étude supplémentaire (le bénéfice marginal) est égal au coût correspondant (le coût marginal) : en deçà, on gagnerait à poursuivre ses études ; au-delà, on y perdrait. Cette règle d'investissement est commune à tous les types de capital : l'apport de Gary Becker est de l'avoir appliquée à l'éducation.
Études empiriques des déterminants des niveaux d'éducation
Dûment enrichi, ce cadre conceptuel permet d'expliquer en partie les différences de niveau d'éducation au sein d'une même population. Premièrement, certaines personnes retirent de leur éducation des bénéfices plus élevés que d'autres, que ce soit en raison de leur « talent inné », de circonstances familiales et sociales, ou de discriminations sur le marché du travail, entre autres. Ces personnes sont incitées à étudier plus longtemps. Deuxièmement, couvrir les coûts de l'éducation implique de disposer d'un revenu familial suffisant ou d'emprunter, or les personnes dont la famille ne peut pas financer les études sont également celles qui auront le plus de difficultés à accéder au crédit, et il existe généralement des limites aux montants qu'on peut emprunter pour financer ses études.
De nombreuses études empiriques ont été menées aux États-Unis pour comprendre dans quelle mesure les contraintes de crédit expliquent les différences d'accès à l'enseignement supérieur entre Blancs et Noirs. Leur conclusion est que ces contraintes n'expliquent qu'une faible part de la différence entre adolescents de niveau scolaire comparable. Les différences de revenu familial entre Blancs et Noirs jouent en fait plus tôt : les Noirs, ayant peu accès aux écoles maternelles, entrent dans le système d'enseignement au niveau primaire, et sont scolarisés dans des écoles de moins bonne qualité, si bien qu'ils ont un niveau scolaire moindre une fois arrivés au seuil du supérieur ; c'est cela, plus qu'un manque d'accès au crédit, qui leur rend l'accès à l'université plus difficile. Prolongeant cette analyse, James Heckman (Prix Nobel 2000) plaide pour une politique de soutien aux parents d’enfants en bas âge et la création de crèches et d’écoles maternelles, qui sont nettement moins nombreuses aux États-Unis qu’en Europe : améliorer l’éducation au sein des familles au tout début du cycle de vie permettrait de réduire les inégalités sociales, et offrirait aux pouvoirs publics et à la société les meilleurs rendements.
Dans nombre de pays en développement, où la scolarisation aux niveaux primaire et secondaire n'est pas systématique, les choix cruciaux ne sont pas ceux d'adolescents et de jeunes adultes décidant de leur formation professionnelle ou de leur parcours universitaire, mais ceux de parents décidant de la scolarité de leurs enfants. S'il existe une différence entre les bénéfices de l'éducation perçus par les parents et ceux perçus par les enfants, les décisions parentales pourront ne pas être optimales du point de vue de ces derniers. Par exemple, les écarts importants de scolarisation entre garçons et filles observés en Asie du Sud s'expliquent en partie par le fait que les parents bénéficient bien plus de l'éducation de leurs fils que de celle de leurs filles, qui dans beaucoup de groupes sociaux quittent leur famille au moment du mariage : les bénéfices de l'éducation des filles, d’ailleurs réduits par le manque d’accès des femmes au marché du travail qualifié, sont en bonne partie perçus par leur belle-famille. Autre exemple : le travail des enfants engendre aussi pour certaines familles des coûts d'opportunité élevés, puisque scolariser les enfants implique de perdre tout ou partie du revenu qu'ils obtiennent en travaillant. De nombreuses études empiriques menées dans les pays en développement montrent que les taux de scolarisation sont très sensibles aux coûts de la scolarité dès l'école primaire. Les mesures les plus efficaces pour stimuler la demande d’éducation comprennent la suppression des frais de scolarité, la création de cantines gratuites dans les écoles et le versement d'allocations familiales conditionnées à la scolarisation des enfants – dont les deux exemples les mieux étudiés sont les programmes Bolsa Familia au Brésil et Progresa-Oportunidades au Mexique.
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Écrit par
- François LECLERCQ : docteur en sciences économiques, consultant indépendant
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Voir aussi
- CAPITAL HUMAIN
- SALAIRE
- RENDEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE
- TRAVAIL DES ENFANTS
- FINANCEMENT
- COÛT D'OPPORTUNITÉ, économie
- PAYS EN DÉVELOPPEMENT (PED)
- INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES
- SÉLECTION CULTURELLE & SOCIALE
- OBJECTIFS DU MILLÉNAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT
- AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT (APD)
- MINCER JACOB (1922- )
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- ÉDUCATION ÉCONOMIE DE L'
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