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ÉDUCATION / INSTRUCTION, notion d'

On pourrait penser, dans un premier temps, que les rapports entre « éduquer » et « instruire » sont simples à établir. Si l'on se réfère à la définition qu' Emmanuel Kant donne de l'éducation, à la fin du xviiie siècle, l'instruction apparaît, à côté « des soins, de la discipline et de la formation[Bildung] », comme l'un des moyens dont l'espèce humaine dispose pour développer le potentiel d'humanité présent en chacun des êtres humains.

Voilà une définition englobante de l'éducation au sein de laquelle l'acte d'instruire vient prendre harmonieusement sa place. Cependant, il s'agit là d'une abstraction, comme on va le voir. « Instruire » s'est révélé – et a même été effectivement conçu – dans la période de généralisation de l'instruction, de la fin du xviiie siècle à nos jours, comme le moyen de contrarier l'éducation.

Instruire

Instruire un individu éducable ne signifie pas l'entourer de soins, lui faire contracter des habitudes et le former. C'est à la fois beaucoup moins et beaucoup plus. C'est lui transmettre les savoirs savants ou techniques qu'il n'aurait pas trouvés de lui-même, en renforçant sa liberté de jugement à leur égard comme à l'égard de toute connaissance. C'est aussi le faire accéder à la culture dont ces savoirs sont à la fois la manifestation et le moteur.

Cette définition peut paraître anodine. En réalité, c'est une vraie pomme de discorde. Au xixe siècle, les nations occidentales couvrent d'écoles leurs territoires afin d'y assurer l'instruction publique. Et l'assurer bon gré mal gré. L'instruction devient obligatoire à cause de la résistance des populations rurales, renforcée par celle du clergé catholique, et de la résistance des classes dirigeantes obscurantistes, qui pensent, après Voltaire lui-même, que l'instruction du peuple n'est pas souhaitable.

Les centaines d'auteurs qui, au cours des xixe et xxe siècles, commentent les rapports de l'éducation et de l'instruction s'ingénient à expliquer qu'instruire se distingue d'éduquer mais ne s'y oppose pas. Si cette distinction est valable dans l'abstrait, qu'en est-il dans la réalité ? Le xixe siècle est bien le temps d'un affrontement entre deux camps. D'un côté, les héritiers des Lumières, pour qui instruire signifie donner la chance d'être éclairé, donc de s'émanciper ; de l'autre, les héritiers de la tradition, pour qui l'instruction comporte le risque de fabriquer des demi-savants, des déclassés, des révoltés.

La définition en cinq points, mentionnée plus haut, inclut tous les termes de cette concurrence pour la conduite des esprits telle qu'elle est effective au cours du xixe siècle, et telle qu'elle resurgit aujourd'hui dans les débats autour du communautarisme :

– « transmettre » : il existe désormais une fonction moderne de « tradition » (au sens de transmission), assumée d'abord par celui qu'on appelle significativement l'instituteur ; avec le mandat des pouvoirs publics, il substitue en effet une nouvelle institution des enfants aux anciennes (la famille, la paroisse et son curé ou son pasteur, le village et ses vieux, la communauté provinciale ou ethnique, etc.) ;

– « des savoirs savants ou techniques » : les savoirs pratiques, les sagesses proverbiales et orales, les croyances religieuses, les récits de vie, les expériences d'existence sont renvoyés à la sphère privée et ne figurent pas au programme ;

– « qu'il n'aurait pas trouvés de lui-même » : instruire, c'est faire constater aux élèves l'ignorance dans laquelle l'éducation reçue les tient ;

– « renforcer la liberté de jugement » : instruire, c'est[...]

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