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ÉDUCATION INTÉGRALE

Il est banal de rappeler que la spécialisation des connaissances et des compétences connaît de nos jours une croissance exponentielle. Mais c'est dès le xviiie siècle que les systèmes éducatifs européens ont été confrontés à des choix qui s'avèrent difficiles à mettre en œuvre tant les enjeux en sont multiples et contradictoires : Que faut-il enseigner ? À qui ? Dans quels buts ? Au service de quels intérêts ? Il y aurait à fixer et à officialiser, sous forme de filières et de programmes, les moments opportuns – ni trop précoces, ni trop tardifs – où placer, dans les cursus d'études, des « bifurcations » de plus en plus spécialisatrices.

Un risque n'a pas été évité, que les recherches d'interdisciplinarité tentent de rendre moins dommageable : les enseignements se sont cloisonnés en disciplines dont les professeurs se font une « spécialité ». Beaucoup d'enseignants demeurent néanmoins attachés à ce qui est encore considéré comme l'une des raisons premières de leur fonction : dans la tradition des « humanités », qu'elles soient classiques ou modernes, toutes les branches de la formation initiale doivent concourir, ensemble, par la constitution d'une culture générale, à une éducation qui, sans prétendre évidemment articuler la totalité des connaissances, assure malgré tout, à chacun des degrés de l'enseignement, quelque chose qui relève d'une certaine intégralité du savoir.

Certes, dans le langage ordinaire, les deux notions – totalité et intégralité – sont utilisées l'une pour l'autre. Mais l'histoire de l'éducation montre qu'on les distingue dès l'Antiquité. La métaphore de la totalité est l'empilement. La métaphore de l'intégralité est la construction évolutive, c'est-à-dire le rapport architectural dynamique des éléments entre eux. C'est en ce sens que, dans l'esprit des fondateurs de l'enseignement populaire à la fin du xixe siècle, un enseignement élémentaire ne se confond pas avec une instruction rudimentaire : il est censé pouvoir constituer la base d'une progression vers l'indéfiniment complémentaire.

De retour en grâce en France depuis les travaux de la Commission du débat national sur l'avenir de l'école, présidée par Claude Thélot (2003-2004), la métaphore du socle appartient à cette imagerie architecturale de l'intégralité. Ce qui est appelé à prendre place sur ce « socle », que ce soit des études postérieures, que ce soit les expériences diverses de la vie, y trouvera son assise, son point d'appui, sa « raison ».

Le jeu des métaphores révèle toutefois la fragilité du propos... Cette faiblesse de la pensée est l'écho de la difficulté concrète de réaliser une éducation qui légitime le qualificatif d'« intégrale ».

La critique de la spécialisation prématurée des formations et des enseignements est d'abord, au xixe siècle, une revendication ouvrière (1848 et 1871). Elle s'articule logiquement à une autre critique, celle du travail parcellaire, menée tant par Pierre-Joseph Proudhon que par Charles Fourier. L'enseignement intégral que ces révolutionnaires réclament semble le seul moyen d'arracher le peuple à la condition d'ignorance dans laquelle on l'entretient : ces ouvriers exigent de savoir plus et de savoir mieux d'autres choses dont ils pressentent qu'elles ne sont pas sans rapport avec ce qu'ils savent et avec ce qu'ils font.

C'est Paul Robin (1837-1912) qui, non sans courir le risque de pervertir son projet en une emprise totale, voire totalitaire, sur ses élèves, a poussé le plus loin la théorie, mais aussi la pratique, de l'éducation intégrale. L'orphelinat de Cempuis en a été la vitrine, à la fois admirée et controversée, de 1880 à 1894. Pour Robin, les[...]

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  • PÉDAGOGIE - Les courants modernes

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    ... République se réfèrent explicitement aux principes qui ont marqué l'œuvre scolaire de la Révolution. À l'application de ces principes, les représentants de la pensée ouvrière et socialiste associent, au xixe siècle, la réalisation d'une éducation intégrale et polytechnique.