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ÉDUCATION Philosophie de l'éducation

L'humanisme soumis à un double assaut

Cent ans après la leçon inaugurale de Henri Marion, le propos humaniste dont le xixe siècle philosophique avait fait le slogan de l'éducation laïque moderne fait l'objet d'une récusation pratique et théorique en passe de devenir un fait de culture.

L'invitation à la mise en route de soi par soi ne pouvait être entendue en définitive que sur fond d'un « grand récit » (J.-F. Lyotard) qui lui conférât sa vraisemblance et son opportunité en lui fournissant sa métaphore. Prolongeant une vision théologique et téléologique de l'homme et du monde, le récit du progrès offrait la saga où légitimer, pêle-mêle, les entreprises de la modernité et, parmi elles, au rang d'excellence, l'éducation. L'intempérance du discours humaniste des philosophes éducateurs devait saper peu à peu son crédit quand ce discours allait coïncider dans le temps avec les échecs successifs de la civilisation, impuissante à empêcher son propre impérialisme de doter la planète d'un cortège de guerres, d'exactions, de massacres et de nuisances à l'échelle même de l'humanité.

Cet insupportable décalage entre les propos et les faits pouvait légitimer un double assaut dont les deux tensions se distinguent et s'entremêlent tout à la fois, tant dans les luttes pratiques pour le contrôle de l'éducation que dans le travail de la théorie, où leur jonction est recherchée comme le moyen de signer une problématique nouvelle de l'éducation, affranchie de l'antinomie de la modernité.

C'est d'abord une contestation militante pour les hommes contre l'« homme », poursuivant la logique de l'émancipation des peuples jusque dans le débordement de la démocratie par les masses. Le soupçon qui s'est amplifié depuis cent cinquante ans, au point d'être érigé aujourd'hui en certitude, est que ce discours de l'idéal a, parmi ses fonctions, de masquer la réalité de l'éducation. Pendant qu'on célèbre, en mots égalitaires, l'éducabilité essentielle d'un homme autonome et participant, se met en place, dans les faits inégalitaires, un dispositif méthodique d'exploitation des hommes. Construisant une alternative théorique, Marx et, après lui, les marxismes induisent le procès de cette conception inexpiablement fallacieuse de l'adhésion et, partant, de l'autonomie. Sous le prétexte d'un souci de coïncidence avec la nature humaine et avec sa socialité fondamentale, l'éducation bourgeoise libérale tente de forcer à adhérer à une société détestable. Pourtant, un philosophe marxiste tel que Georges Snyders (1971) ne craint pas de passer lui-même pour réactionnaire en affirmant que l'adhésion des êtres humains à la société humaine demeure une fin ultime de l'éducation, puisque cette adhésion ne représente pas autre chose pour les hommes que la reconnaissance même de leur identité. Le collectif humain est le sujet de l'éducation.

Un paradoxe pratique découle de cette inversion des termes et confine à une impossibilité dans la théorie : ce sont ceux qui prônent la conception la plus collectiviste de l'éducation qui, dans le même temps, doivent porter, par nécessité militante, la plus sévère critique de ce que fait l'actuelle collectivité pour assurer l'éducation. Le retour au « grand récit » n'est-il pas, dès lors, inévitable, et sous le mode de l'utopisme ? La société vraiment communiste sera précisément celle qui aura dépassé l'antinomie démocratique. En attendant ce jour, les sociétés marxistes, après avoir ainsi redéfini l'adhésion à la condition humaine, ne semblent pas en mesure de l'obtenir des humains par des moyens bien différents de ceux de n'importe quelle orthodoxie.

La seconde tension que[...]

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Émile, J.-J. Rousseau - crédits : AKG-images

Émile, J.-J. Rousseau

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