TYLOR EDWARD BURNETT (1832-1917)
L'augure du nouvel esprit anthropologique
Ni Mac Lennan ni Herbert Spencer ne s'étaient beaucoup préoccupés de donner un statut scientifique à l'anthropologie. Tylor s'y employa en lui appliquant des méthodes d'analyse rigoureuse, particulièrement la méthode des probabilités empruntée à la statistique. Pour montrer comment exploiter systématiquement les recherches sur le développement des institutions, il inventoria les lois du mariage et de la descendance dans près de trois cent cinquante peuplades, les classa en tableaux afin d'en dégager les corrélations (qu'il appelle adhesions). La grande fréquence de certaines corrélations indiquait qu'il ne s'agissait pas de simples coïncidences et que l'on pouvait par ce moyen établir des explications à valeur universelle. Ainsi s'aperçut-il que la coutume d'évitement était liée aux formes de résidence, et la teknonymie à la résidence matrilocale ainsi qu'à la coutume d'évitement de la belle-mère. Il utilisa la même méthode pour traiter des coutumes telles que le lévirat, la couvade, le mariage par rapt, ou des phénomènes liés fonctionnellement tels que l'exogamie et le système classificatoire des nomenclatures de parenté. Après authentification des textes étaient rejetées les allégations uniques, et admises seulement celles dont la fréquence était supérieure à ce qu'aurait fourni le simple hasard. Respectueux des faits, il donna à l'esprit anthropologique ce caractère de prudence inductive qui le caractérise encore, mais qui, poussé à l'excès, peut se muer en manie de l'énumération et en paralysie de la généralisation.
Malgré un sens de la relativité peu commun en son temps, Tylor ne semble pas totalement exempt de préjugés ni de ferveur partisane, surtout dans ses premières œuvres où l'audace de l'hypothèse subit les aléas de tout saut inductif. Aussi ses explications demeurent-elles parfois fort vulnérables, d'autant qu'il lui arrive d'extrapoler à partir des « primitifs » du xixe siècle et de comparer des unités qui ne sont pas de même valeur, à propos de la monogamie et du monothéisme par exemple. Outre les méthodes de ressemblances et de différences, il lui aurait fallu utiliser la méthode des variations concomitantes et présenter, en même temps que des preuves solides, les moyens de vérifier les résultats revendiqués. Enfin, l'emploi des statistiques ne permettait de prouver que des corrélations et non des séquences temporelles.
Pour critiquables que soient les usages que Tylor a fait de la méthode comparative, il n'est pas douteux qu'il l'ait perfectionnée. S'il a attribué parfois indûment un lien de cause à effet à des phénomènes seulement simultanés, la recherche des fréquences et l'application de traitements numériques et statistiques aux sciences humaines ont progressé avec lui. Aussi excessif qu'ait été son rationalisme, lorsque, par exemple, il considère dans l'animisme son côté intellectuel plutôt que son côté affectif, ou lorsqu'il argue contre la gent théologienne pour justifier la méthode transformiste, du moins lui sait-on gré d'avoir tenté, selon l'expression de R. Lowie, de « substituer le concept mathématique de fonction au concept métaphysique de causalité ». L'attention privilégiée qu'il a accordée à la complexité des coutumes et des institutions a incité bien des anthropologues à se débarrasser d'explications trop simplistes, fréquentes dans les sciences jeunes.
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Écrit par
- Claude RIVIÈRE : professeur émérite à l'université de Paris-V-Sorbonne
Classification
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