HOPPER EDWARD (1882-1967)
Les images et leurs stratégies
« Je crois que l'humain m'est étranger. Ce que j'ai cherché à peindre, ce ne sont ni les grimaces ni les gestes des gens ; ce que j'ai vraiment cherché à peindre, c'est la lumière du soleil sur la façade d'une maison. » Voilà une affirmation aussi irréfutable que péremptoire si l'on considère l'ensemble de sa peinture. La totalité de l'œuvre d'Hopper est en effet traversée par d'évidentes constantes iconographiques et formelles, et cela depuis les années 1920 jusqu'à sa disparition en 1967. Quelques tableaux conservés au Whitney Museum of American Art de New York, tels Le Pont Royal de 1909 ou bien Le Quai des Grands Augustins de la même année, conservent encore quelques influences françaises : formes schématisées et presque transparentes, luminosité, absence d'animation, mise à l'écart des êtres humains, touches larges et visibles. À partir des années 1920, son approche formelle évolue et sa thématique fixe ses contours. Hopper va alors définir l'image selon une méthode qui lui sera propre : il ne s'agira pas de formes cernées par des traits incisifs et minutieusement achevées, mais plutôt d'une définition rapide des éléments figuratifs, énoncés dans leur masse principale par une touche souvent apparente, et surtout organisés par des cadrages très originaux. Son réalisme sera alors un réalisme d'atmosphère, par opposition au réalisme de précision qui caractérise la peinture de certains de ses compatriotes. À la même époque, il établit définitivement son répertoire iconographique, les thèmes porteurs de sa conception du monde et de la vie. Il ne les changera plus. Bien au contraire, il reprendra certains thèmes des décennies plus tard. Deux tableaux illustrent de manière accomplie ces constantes iconographiques qui traversent tout son œuvre : Deux sur le bas côté de 1927 (Museum of Art, Toledo) et Premier rang, orchestre de 1951 (Hirshhorn Museum, Washington). Toutefois sa définition de l'image et du réalisme ne se limite pas à un certain type de touche et au réalisme de situation. Entrent en jeu dans sa démarche certaines options conceptuelles : l'utilisation fréquente de diagonales déstabilisatrices, la métonymie qui lui fait préférer la partie au tout, le détail signifiant plutôt que l'ensemble, le vide qui sature presque toutes ses images en évoquant le silence et enfin la densité des ombres qui s'opposent à l'éclat de la lumière, l'omniprésence de celle-ci témoignant d'une fascination presque obsessionnelle.
Dans son Autoportrait de 1925-1930, (Whitney Museum, New York) Hopper ne se représente pas en tant que peintre, mais comme un personnage anodin, – expression neutre, veste sombre, et col de chemise écorné – semblable aux anonymes qui peuplent ses compositions. Un des innombrables flâneurs de New York qui scrutent les architectures et les êtres humains, en les évaluant en silence, avec discrétion et précision.
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Écrit par
- Charles SALA : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
Classification
Médias
Autres références
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ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques
- Écrit par François BRUNET , Éric de CHASSEY , Encyclopædia Universalis et Erik VERHAGEN
- 13 464 mots
- 22 médias
...précisément absente des œuvres de deux artistes qui ont souvent été rattachés au régionalisme, alors que leur individualité grinçante les en distingue : Edward Hopper et Grant Wood. Le réalisme de Hopper n'est jamais maniériste ; qu'il représente la ville ou la campagne, ce sont toujours des lieux où se...