EFFI BRIEST, Theodor Fontane Fiche de lecture
Un roman de la solitude
La plupart du temps, Fontane décrit de façon indirecte les événements plus qu'il ne les raconte. Il faut noter d'abord la place prépondérante, dans la narration, des événements sociaux : soirées musicales, dîners qui réunissent toute la bonne société de la région de Kessin, promenades à cheval ou en traîneau, fêtes de fin d'année. Fontane excelle dans l'évocation des conversations entre ses différents personnages. Le miroir apparemment lisse de la parole mondaine contraste avec les tensions sous-jacentes à l'intérieur de cet univers policé. En concédant une place relativement importante à la parole sociale, Fontane souligne par effet de contraste le douloureux isolement de sa jeune protagoniste. Peuplé de personnages variés, Effi Briest est en ce sens un paradoxal roman de la solitude. La jeune femme ne vit guère qu'avec une angoisse diffuse : indifférente à son mari qui n'est pas réellement porté à la galanterie, Effi habite une maison qui se caractérise elle-même par le « vide » : cinq pièces du premier étage sont dépourvues de meubles : « Il y avait quatre chambres, à une fenêtre chacune ; elles étaient peintes en jaune exactement comme la salle et, comme elle, vides. » Ce vide travaille le texte et fragilise la jeune femme. Le sentiment d'étrangeté investit la maison. N'est-elle pas hantée par le spectre d'un Chinois ?
Si Fontane aime à s'attacher aux détails en apparence futiles, il glisse en revanche sur quelques-uns des moments majeurs de l'histoire. Ainsi, la liaison d'Effi Briest avec Crampas et notamment les scènes d'amour se trouvent largement escamotées. Ce sont les inquiétudes de la jeune femme, ses discussions avec son mari, sa mère, ou encore sa servante qui permettent au lecteur de deviner ce qui s'est passé. La narration par flash-back produit encore un autre effet : le présent se trouve happé par le passé, qui apparaît souvent, en revanche, comme le temps des occasions manquées (gestes que l'on a voulu accomplir, mais que l'on a pas faits, ou vice versa). Les personnages de Fontane sont impuissants à maîtriser leur destin : Effi se lance dans une aventure amoureuse qu'elle désire et refuse, Instetten prend l'initiative d'un duel qu'au fond il ne voulait pas. Il n'y a pas jusqu'au regard des personnages et du narrateur sur les paysages qui ne soit imprégné de ce sentiment de l'irrémédiable et de l'inéluctabilité de la perte. Dans cette perspective, Effi Briest, victime de l'implacable comédie sociale, est présentée comme une figure particulièrement tragique : la mélancolie gagne rapidement une personne qui se distinguait, au début du roman, par sa jeunesse et par sa vitalité. Au moment de mourir, elle vient d'avoir trente ans : « Madame von Briest vit qu'Effi était épuisée et semblait dormir ou vouloir dormir. Tout doucement, elle se leva de son siège et sortit. Cependant, à peine fut-elle partie qu'Effi se leva à son tour et s'assit à la fenêtre ouverte pour respirer encore une fois à plein poumons l'air frais de la nuit. Les étoiles scintillaient : dans le parc, aucune feuille ne bougeait. Mais plus elle prêtait l'oreille, et plus nette lui semblait cette fine musique de la bruine perlant sur les platanes. Elle sentait comme une délivrance envahir son être. „La paix, la paix“. »
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christian HELMREICH : agrégé d'allemand, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-VIII
Classification
Autres références
-
FONTANE THEODOR (1819-1898)
- Écrit par Éliane KAUFHOLZ
- 2 885 mots
...éléments prennent une force symbolique et expriment poétiquement le destin de cette noblesse hors du temps et de l'histoire où elle n'intervient plus guère. Dans Effi Briest (1895), sans doute le récit le plus émouvant dans sa sobriété, le marais autour de la ville de Kessin où vit la jeune femme adultère,...