ÉGYPTE L'Égypte arabe
Les Toulounides et les Ikhshidides
L'Égypte va en retirer, momentanément tout au moins, une existence propre. Un officier turc, Ahmed ibn Tulun, chargé de gouverner la province au nom d'un apanagiste de Bagdad, réussit à se constituer une armée et se déclara maître absolu. L'autorité mésopotamienne, en butte à des révoltes sociales en Mésopotamie et à l'ambition des condottieri saffarides, n'eut pas la force de résister. Toutefois, elle considéra Ibn Tulun comme un rebelle ; et seul le fils de ce dernier put négocier son indépendance moyennant un tribut. L'autonomie toulounide est plus importante pour l'économie nationale que pour la vie politique : le versement au Trésor califien fut d'abord supprimé, puis rétabli mais très diminué ; l'argent ne sortant plus du pays sans contrepartie, le bien-être de la population ne put que s'améliorer.
Ibn Tulun put donc fonder une capitale, nommée les Concessions, à cause des lotissements de terrains affectés aux principaux officiers de l'État. Il en subsiste la grandiose mosquée, symbole d'un art sobre et vigoureux, témoin d'un premier et brillant effort. Si brève qu'ait été la durée de la dynastie (868-905), il est légitime de parler de puissance et de civilisation toulounides. La situation morale et matérielle de son gouvernement, dans la première moitié de son règne tout au moins, était bien supérieure à celle du califat mésopotamien, obligé de compter avec l'Égypte. Quelques constatations générales se dégagent : le califat avoue son incapacité à dicter ses lois au monde musulman ; un prince peut gouverner l'Égypte d'une façon indépendante, mais, pour sa sécurité, il est obligé d'occuper la Syrie.
La mosquée d'Ibn Tulun est le plus ancien témoin architectural intact de l'art musulman en Égypte, et ce n'est pas le moins admirable, si l'on considère l'harmonie de ses proportions, la grâce de sa décoration sur stuc, la noblesse des gigantesques merlons qui dominent le mur d'enceinte, l'étrangeté du minaret qui rappelle, par-delà le modèle mésopotamien, les pyrées du culte zoroastrien. Ce sont encore des traditions mésopotamiennes qui inspirent les thèmes de la céramique de cette époque : elle offre, sur des fonds blancs ou crème, un décor lustré jaune olivâtre ou marron.
Ibn Tulun construisit également un palais magnifique, précédé d'un hippodrome, et introduisit en Égypte la pompe des cortèges officiels. Son fils Khumarawaih enjolive le château paternel, possède une ménagerie, s'entoure d'un nombre prodigieux de jeunes et jolies filles, de chanteuses renommées. Dès lors, la capitale égyptienne possédait une véritable cour, et Bagdad sentit si bien l'importance de cet apparat que les palais toulounides furent, par son ordre, impitoyablement rasés à la chute de la dynastie.
Un bref retour à l'administration préfectorale précède l'implantation de dynastes indépendants, les Ikhshidides (939-968) : leur nom rappelle le titre d'un seigneur de l'Asie centrale dont ces nouveaux maîtres de l'Égypte prétendaient descendre.
Ils sont connus dans l'histoire pour avoir tenté de résister à la poussée des Fatimides qui déferlent de l'Afrique du Nord sur l'Égypte.
Sous la forme adoptée, l'indépendance des Toulounides et des Ikhshidides n'était pas viable. Pour se séparer politiquement du califat avec quelques chances de succès, il aurait fallu que la rébellion eût des bases. Or ces dynastes n'affichaient aucune doctrine susceptible d'entraîner les foules et ne s'appuyaient pas non plus sur une opinion publique, comme c'était le cas dans les États iraniens en formation. L'ambition personnelle non camouflée ne pouvait assurer une certaine permanence.
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Écrit par
- Gaston WIET : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France
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Médias