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EICHMANN À JÉRUSALEM, Hannah Arendt Fiche de lecture

La notion de responsabilité

Du point de vue d’Arendt, cette « thèse » n’en est pas une en réalité : « Je n’ai parlé de la banalité du mal qu’au seul niveau des faits, en mettant en évidence un phénomène qui sautait aux yeux lors du procès. Eichmann n’était ni un Iago ni un Macbeth, et rien n’était plus éloigné de son esprit qu’une décision, comme chez Richard III, de faire le mal par principe. Mis à part un zèle extraordinaire à s’occuper de son avancement personnel, il n’avait aucun mobile. […] Simplement, il ne s’est jamais rendu compte de ce qu’il faisait. » Arendt vise ainsi la banalité du mal en Eichmann, celle de l’action qui engendre le mal et non la banalité des souffrances qui en résultent. Dans la suite de son œuvre, elle analysera les implications philosophiques de ce type de crimes commis par des individus chez qui on ne peut repérer aucun des traits que l’on associe habituellement au mal – l’orgueil, le ressentiment, la convoitise, etc. – et qui n’ont pas choisi de faire le mal sciemment, mais ont renoncé à l’idée même de responsabilité personnelle.

Contrairement à ce qu’affirme une interprétation devenue un lieu commun, Arendt ne considère pas chaque individu comme un criminel en puissance qui, en certaines circonstances, serait susceptible de commettre les pires actions à supposer que l’ordre lui en soit donné. À l’inverse, elle estime qu’il existe un remède, certes limité, au mal, qui réside dans l’exercice de la pensée et du jugement, ce dernier étant réinvesti dans son œuvre tardive comme cette faculté « politique par excellence » de considérer toute chose du point de vue d’autrui.

Un regain d’intérêt vis-à-vis de ce livre se manifeste à partir des années 1990. Il présente diverses caractéristiques. En premier lieu, les discussions sont moins passionnées, relèvent davantage du débat que de la polémique. En second lieu, on assiste à un élargissement des thématiques abordées, la pensée de la justice qui sous-tend l’ouvrage retenant notamment l’attention des commentateurs.

Le choc du procès Eichmann conduit en particulier Arendt à s’intéresser à ce qui fait selon elle la « grandeur du judiciaire » : même au temps de la société de masse, alors que toute personne peut être envisagée – voire se représenter elle-même – comme un rouage au sein d’un ensemble qui la dépasse, il existe un lieu institutionnel dans lequel les actions humaines sont jugées en tant que telles, en tant qu’actions singulières. En troisième lieu, les positions de la philosophe sont discutées aujourd’hui depuis des ancrages disciplinaires divers (philosophie, mais aussi histoire, droit, psychologie, etc.). Si le potentiel heuristique de ce croisement de perspectives est indéniable, il est toutefois nécessaire d’aborder chacune d’elles de manière critique, la pensée d’Arendt ayant fait – et faisant toujours – l’objet d’interprétations ou de réappropriations contestables, qui n’en respectent ni la lettre ni l’esprit.

— Vincent LEFEBVE

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Écrit par

  • : docteur en sciences juridiques, chercheur au Centre de recherche et d'information socio-politiques, Bruxelles, collaborateur scientifique au Centre de droit public et social de l'université libre de Bruxelles (Belgique)

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Autres références

  • ARENDT HANNAH (1906-1975)

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    • 1 790 mots
    • 1 média
    ...l'angle du travail, de l'œuvre et de l'action. « Les hommes qui ne pensent pas sont comme des somnambules » : c'est ce dont allait prendre conscience Hannah Arendt lorsqu' elle couvrit en 1961, à sa demande, le procès Eichmann pour le New Yorker, estimant qu'elle devait cela à son passé. Elle...