EINSTEIN ET LA RELATIVITÉ GÉNÉRALE, LES CHEMINS DE L'ESPACE-TEMPS (J. Eisenstaedt)
Si les principes et les conséquences de la théorie de la relativité restreinte ont été souvent, et parfois de façon excellente, vulgarisés, la complexité mathématique de la théorie d'Einstein de la gravitation – appelée relativité générale – est telle qu'elle n'est appréciée que d'un petit nombre de scientifiques. Pourtant, comme l'affirme Jean Eisenstaedt, la relativité n'est certainement pas la chose au monde qui soit la plus difficile à comprendre, ni la seule théorie qui nous rende rêveurs. Reste qu'accepter que la géométrie ne soit pas celle à laquelle nos sens et nos études nous ont habitués représente une vraie révolution conceptuelle. Le livre de Jean Eisenstaedt (C.N.R.S. Éditions, 2002), prix Jean-Rostand 2002, a pour but de faire partager à un public curieux les connaissances de base de cette étonnante théorie.
Après avoir décrit la genèse de la relativité générale, l'auteur s'attache à expliquer de façon non mathématique ses principes. Que des équations différentielles résultent de ces principes n'est finalement que l'habituelle et nécessaire mathématisation du monde réel, et il importe peu au profane ou à l'amateur de suivre un cours de mathématiques abstraites. Ces équations mènent cependant au calcul de quantités directement observables, et l'histoire des tests expérimentaux se révèle aussi fort intéressante. Les observations astronomiques pendant les périodes d'éclipse solaire furent l'occasion de véritables expéditions, sans que les conditions météorologiques soient toujours favorables. Mais le succès des prédictions théoriques se révéla éclatant et, lors de la conférence réunie à Londres le 6 novembre 1919, on s'accordera sur le fait que les mesures de la déviation des rayons lumineux par la gravitation confirment les prédictions d'Einstein.
La genèse du concept de trou noir surprendra plus d'un lecteur. Le pasteur anglais John Mitchell avait déjà en 1784 imaginé ces « corps obscurs » que Laplace vulgarisa dans son ouvrage L'Exposition du système du monde (1796). L'astrophysicien allemand Karl Schwarzschild découvre en 1916 que certaines solutions des équations d'Einstein présentent une singularité mathématique. On ne dispose pas en relativité générale d'une définition mathématique précise de ce qu'est une singularité et cette question ne progressera que très peu pendant des décennies ; Eisenstaedt parle à ce propos d'un « refus du trou noir » qui durera jusqu'aux années 1960. L'expression de trou noir, inventée par John Wheeler en 1967, fera fortune.
Ce livre devrait permettre à ses lecteurs de comprendre avec un peu de profondeur la pensée d'Einstein qui, comme celle de tous les savants célèbres, est trop souvent caricaturée. La focalisation des écrits d'Einstein sur la recherche de principes est un aspect fondamental relativement bien connu de son génie. On a moins insisté sur l'importante utilisation d'intuitions visuelles ou motrices qui ont largement précédé la formalisation mathématique. Le vulgarisateur pressé oublie trop le lent mûrissement des idées majeures qui ont fondé une théorie comme celle de la relativité générale ; le lecteur risque du coup de méconnaître l'ampleur des inévitables errances théoriques qui accompagnent tout travail de recherche. Eisenstaedt arrive avec bonheur à décrire les doutes et les erreurs qui ont parsemé l'élaboration de la nouvelle théorie de la gravitation.
La relativité générale est incomplète conceptuellement, comme l'est à peu près toute théorie physique. Elle est donc toujours en travaux et cette introduction n'est certainement pas un traité complet de la gravitation. On n'a toujours pas réussi à accomplir la nécessaire unification de ses principes et du cadre conceptuel[...]
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Écrit par
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
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