ÉLECTIONS Histoire des élections
L'élection libre et concurrentielle
Un modèle singulier
Jusqu'à la révolution électorale de la fin du xviiie siècle, l'élection n'a rien à voir avec une arithmétique des volontés individuelles. Comme l'a montré Olivier Christin, dans l'article qui ouvre le numéro d'Actes de la recherche en sciences sociales consacré aux « Votes », l'élection est la manière dont les corps intermédiaires de la société de l'Ancien Régime désignent en leur sein ceux qui vont occuper les postes les plus prestigieux. En ce sens, l'élection est une manière de reproduire et de perpétuer la domination d'élites sociales et de « faire corps ». Que l'élection devienne finalement le moyen de faire participer le plus grand nombre à la désignation de représentants est le signe de transformations profondes.
Ce passage, à la toute fin du xviiie siècle, de réunions collégiales, où l'on est entre pairs et au sein de son ordre, à des assemblées locales définies dans le cadre d'un territoire et selon un principe égalitaire rend possible les premières nominations électives. Parce qu'elles respectent les formes de l'élection et de la décision majoritaire, les nominations ainsi effectuées sont bien électives et impliquent un minimum de concurrence entre des candidats ; mais ces nominations sont aussi une manière de ratifier des autorités sociales évidentes et l'emprise qu'elles exercent sur les électeurs assemblés, quand elles ne sont pas le produit de brigues et de cabales... Cette ambivalence apparente n'est pas la conséquence d'une procédure mal maîtrisée, la nomination élective est l'expression d'une domination sociale qui trouve dans la désignation populaire un moyen d'affirmer sa légitimité à travers la capacité à représenter ses électeurs. Lorsque 9 millions de Français, de sexe masculin exclusivement, sont invités à désigner leurs représentants à l'Assemblée constituante les 23 et 24 avril 1848, ils investissent en nombre des notables qui, à l'exemple d'Alexis de Tocqueville, fondent leur domination électorale sur cette capacité à s'imposer comme autorité sociale légitime.
C'est pourtant ces nominations électives qui vont, à la faveur d'une nouvelle inflexion majeure des formes de l'élection, se transformer en élections libres et concurrentielles à la fin du xixe siècle. Cette inflexion, qui s'inscrit dans des transformations profondes des sociétés européennes, est le fruit de combats menés contre les pratiques coercitives de gouvernements autoritaires. C'est dans les luttes contre des lois électorales restrictives, mais aussi contre les pratiques de la candidature officielle et toutes les formes d'interventionnisme électoral, que s'affirme une définition vertueuse de l'élection dont Alain Garrigou a analysé les conditions d'émergence en France. Devant être libre de toute « pression », qu'elle soit administrative, cléricale ou patronale, l'élection est progressivement associée à une conception individuelle du vote, lui-même perçu comme l'expression d'un choix ou d'une opinion. Dès lors, le résultat de l'élection devient un agrégat qui repose tout entier sur le principe majoritaire, la force du verdict étant garantie par le respect de la liberté des électeurs et de la libre concurrence entre les candidats. Inversement, tout ce qui viendrait désormais entraver l'exercice de cette liberté est assimilé, à travers la codification juridique et jurisprudentielle des pratiques électorales, à une fraude.
Les biens d'équipement électoraux
L'organisation d'élections, a fortiori s'il s'agit d'élections nationales au suffrage universel, mobilise un nombre importants d'agents sociaux qui vont tenter de « faire voter » des électeurs[...]
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Écrit par
- Christophe VOILLIOT : maître de conférences en science politique à l'université de Paris Nanterre
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