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ÉLECTRE

Celle en qui des psychanalystes épris de symétrie ont voulu voir la petite sœur d'Œdipe est en réalité la sœur d'Oreste, et la fille d'Agamemnon et de Clytemnestre. Dans L'Iliade, son père ne l'évoque que sous le nom de Laodice, entre ses deux sœurs, Chrysothémis et Iphianassa (Iphigénie). Si ce nom disparaît complètement chez les poètes tragiques au profit de celui sous lequel elle est restée dans les mémoires, le personnage ne continue pas moins à en être marqué : qui est, en effet, Électre (« Ambre »), sinon celle qui réclame l'accomplissement de dikè, c'est-à-dire de la justice qui règle les rapports entre les familles et qui, comme telle, n'hésite pas à appeler de ses vœux le matricide, à s'en faire la complice et à se mettre du même coup, contrairement à sa sœur Chrysothémis, hors de l'institution, hors-la-loi selon thémis, c'est-à-dire selon la justice qui s'exerce à l'intérieur du groupe familial (cf. l'opposition d'Électre et de Chrysothémis dans l'Électre de Sophocle, ainsi que É. Benvéniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, t. II, liv. II, chap. i et ii, 1970) ? Du point de vue d'Électre, c'est en effet le père qui est l'élément déterminant de la famille : en Clytemnestre, meurtrière d'Agamemnon, type même de la mangeuse d'hommes qui, à travers la domination qu'elle exerce sur l'être efféminé qu'elle a pris pour amant et placé à la tête de Mycènes (Égisthe), règne en fait sur l'État, Électre ne peut voir qu'une étrangère et une usurpatrice qui essaie de substituer sa lignée à celle des Atrides. Il ne lui reste donc plus qu'à assumer l'intérim et à suppléer, auprès de son frère Oreste, la mère défaillante, par exemple en le soustrayant à la vindicte d'Égisthe et en le confiant à un précepteur, en attendant que celui-ci soit en âge de venger le père et d'en perpétuer la lignée. Alors seulement Électre pourra cesser d'être « alectre » (« sans hymen » : vierge) et devenir femme selon son idéal, à savoir celui de l'épouse soumise assurant à son mari — ce sera Pylade, le meilleur ami de son frère — une descendance, mâle évidemment ! C'est ce dernier état qui représente pour elle une libération, attendu que la femme n'atteint sa véritable identité qu'en la perdant. Jusque-là, elle est au contraire esclave ou prisonnière ou encore mariée demeurant vierge. Dans tous les cas, la situation objective du mythe est en même temps une situation subjective : Électre ne peut accéder à la féminité tant que se dresse devant elle l'image d'une mère haïe parce que trop virile. À ce sujet, la pénétrante analyse de J.-P. Vernant, dans Mythe et pensée chez les Grecs (vol. I, 1974), met bien en lumière un des aspects sous lesquels les Grecs se représentaient l'oikos et, en particulier à travers le conflit d'Électre et de Clytemnestre, la conflictualité propre à la condition féminine dans la société grecque. Toutefois, si l'on peut interpréter ainsi le cas d'Électre — incarnation mortelle d'Hestia, femme doublement aliénée parce qu'elle n'intériorise qu'un côté de l'idéologie dominante —, il reste que c'est l'exemple de l'Électre de Sophocle qui est retenu pour illustrer l'analyse et qui sert de paradigme par rapport aux tragédies d'Eschyle et d'Euripide où Électre intervient. Or Karl Reinhardt (Sophocle, 1971) a montré comment cette tragédie s'inscrivait en rupture non seulement par rapport aux œuvres d'Eschyle, mais encore par rapport aux œuvres antérieures du poète lui-même. L'antique destin s'est ici effacé au profit des états d'âme et des conflits familiaux et sociaux.[...]

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Écrit par

  • : enseignant en littérature générale et comparée à l'université de Paris-VIII, poète et traducteur

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