ÉLECTRE, Jean Giraudoux Fiche de lecture
Giraudoux et le mythe d'Électre
Héritière d'une tradition qui remonte à Homère et, pour le théâtre, au moins, au ve siècle avant J.-C., la pièce de Giraudoux constitue l'une des variantes les plus récentes d'un mythe extrêmement fécond, surtout si on le rapporte à la légende des Atrides. Eschyle a consacré Les Choéphores, deuxième partie de sa trilogie L'Orestie, à la vengeance d'Oreste, sur ordre du dieu Apollon. Suivent deux Électre, l'une de Sophocle, l'autre d'Euripide, dont l'ordre demeure incertain. Il est tentant de supposer la version de Sophocle antérieure à celle d'Euripide, ce qui permettrait de conclure à un renforcement progressif du rôle d'Électre : assez passive et plutôt rétive au meurtre chez Eschyle, haineuse et participante active chez Sophocle, humiliée et véritable instigatrice chez Euripide.
À l'Âge classique, si le sujet inspire de nombreuses tragédies, la plupart se contentent d'imiter les trois grands tragiques grecs. Tout au plus peut-on relever une Électre de Crébillon (1708) et un Oreste de Voltaire (1750). Si le mythe continue d'essaimer tout au long du xixe siècle, notamment chez les romantiques anglais et allemands, c'est dans les premières décennies du xxe siècle que sa réactualisation va produire des œuvres véritablement marquantes. En 1909, est créé à Dresde l'opéra Elektra, de Richard Strauss, sur un texte de Hugo von Hofmannsthal très inspiré par la psychanalyse, comme le sera, en 1931, la trilogie de l'Américain Eugene O'Neill, Le deuil sied à Électre, située pendant la guerre de Sécession. En France, à partir des années 1930, la mode est à l'Antique. Cette vague d'Œdipes (Gide, Anouilh, Cocteau), d'Antigones (Anouilh, Cocteau), d'Électres et d'Orestes (Giraudoux, Sartre) peut s'expliquer par des raisons profondes. Alors que reste vif le souvenir de la boucherie de la Première Guerre mondiale, et que l'on assiste à la montée des totalitarismes, la vision se précise d'un monde sans Dieu ou plutôt, selon Camus, où l'homme, « qui a fait un dieu du règne humain », est condamné à se révolter contre lui-même, en un geste aussi désespéré qu'absurde. Le temps semble donc venu d'un retour à la tragédie. Le détour par l'Antiquité conférera parfois au propos une ambiguïté opportune : ainsi de l'Antigone d'Anouilh, enrôlée successivement sous la bannière de la collaboration puis de la Résistance, ou des Mouches de Sartre, hymne à la révolte en pleine Occupation.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification