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ÉLECTRE, Jean Giraudoux Fiche de lecture

Tragédie et humanisme

C'est dans ce contexte que Giraudoux aborde le mythe. Globalement fidèle à l'intrigue originale, dont il reprend la plupart des éléments (les Euménides viennent d'Eschyle, le mariage forcé avec le jardinier est emprunté à Euripide), le dramaturge apporte cependant quelques innovations, telles que l'apparition de personnages inédits (le mendiant, les époux Théocathoclès), ou encore l'ignorance dans laquelle se trouve Électre des crimes d'Égisthe et de Clytemnestre. Ce dernier point est capital : il tend à rapprocher Électre d'Œdipe. La psychanalyse a souvent noté la communauté de leurs destins : tous deux sont à la recherche de leur propre origine, en quête d'une vérité qui les détruira.

Quant à la signification de la pièce, elle n'est pas sans ambiguïté, à l'image de son héroïne éponyme. Pure (Alektra signifie en grec la « non mariée »), porteuse de lumière (Elektra : la « brillante », la « lumineuse »), Électre incarne a priori la justice et la vérité en marche. Mais les Grecs, déjà, avaient mis l'accent sur l'excès du personnage, sa haine aveugle et son hubris (sa démesure).

Chez Giraudoux, face à une Électre de plus en plus froide et désincarnée, à un Oreste humain mais quelque peu effacé, à une Clytemnestre qui joue en vain la comédie de la mère frustrée, c'est Égisthe, paradoxalement, qui incarne la véritable alternative : littéralement transfiguré, mué en chef d'État prêt à payer le prix de son forfait mais préoccupé du salut de son peuple, il met en lumière, derrière la juste vengeance d'Électre, une volonté de puissance sans limites, et l'intransigeance d'une fanatique : « Égisthe. – Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple, Électre.

Électre. – Il est des regards de peuple mort qui pour toujours étincellent.

Toutefois, la portée morale et politique du propos, qui s'articule autour du débat sur les mobiles et les conséquences de l'acte d'Électre (soumission au destin ou affirmation de la liberté humaine, triomphe de la vertu ou condamnation du manichéisme, exigence d'absolu ou défiance à l'égard des vérités abstraites, devoir de mémoire ou plaidoyer pour le pardon...), ne saurait à elle seule rendre compte d'une pièce où l'invention et l'humour éclatent à chaque scène : fantaisie verbale (« c'est une épingle à reine, pas une épingle à nourrice »), clins d'œil au public lettré (les époux Théocathoclès, autrement dit : « la gloire des dieux d'en bas »), savoureux anachronismes (« Et s'ils fument, il nous faut alimenter leur ignoble cigare avec la flamme de notre cœur »), décalages burlesques (« le destin te montre son derrière, jardinier. Regarde s'il grossit »), jeux de théâtre dans le théâtre (les Euménides « récitant » Clytemnestre)... Mais plus qu'une « virtuosité de normalien », si souvent reprochée à l'auteur, il convient de voir là l'expression littéraire même de l'humanisme de Giraudoux, un hymne à la légèreté au cœur même de la gravité : impératif tout à la fois esthétique et moral.

— Guy BELZANE

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