ÉLÉGIES ET HYMNES, Friedrich Hölderlin Fiche de lecture
Parus parfois de son vivant dans quelques revues, mais en grande partie inédits au moment où débuta la seconde « moitié de sa vie » marquée par la folie (1806-1843), les poèmes de Friedrich Hölderlin (1770-1843) ne furent pas d'emblée rassemblés en un recueil ou un cycle achevé. Les difficultés de publication que connut leur auteur, aggravées par son propre destin, mettent d'emblée en évidence un problème de réception que la partition traditionnelle des poèmes en genres (hymnes, odes, élégies, etc.) dans les éditions de Hölderlin n'a pas résolu. Si la philologie hölderlinienne, au xxe siècle encore, a cherché à préciser comment ces textes se situaient par rapport à l'histoire de certains genres (celui de l'hymne depuis Pindare, par exemple), c'est par souci d'apprivoiser une poésie rétive aux procédures les plus communes de la philologie.
Une philosophie de l'Histoire
La période dite des « hymnes, odes et élégies » (1800-1803) est généralement considérée comme le sommet de la production poétique de Hölderlin. Elle rassemble des œuvres aussi importantes que Pain et vin, Retour, Le Rhin, Fête de paix, Patmos ou Souvenir. Les poèmes ultérieurs, souvent fragmentaires, attirèrent l'attention des exégètes et surtout de beaucoup d'écrivains qui voyaient en eux une étonnante préfiguration de la modernité littéraire.
L'architecture imposante des grands hymnes, la syntaxe complexe de longues périodes tendues parfois sur plusieurs strophes, la solennité énigmatique d'une poésie qui a pour enjeu une philosophie de l'histoire, peuvent dérouter le lecteur français : l'idée que Hölderlin ait pu influencer la genèse de la Phénoménologie de l'espritet que la lecture des écrits du jeune Hegel, son ami et condisciple au séminaire de Tübingen, éclaire la compréhension du panthéisme de Hölderlin, ne s'accorde guère avec un partage des compétences qui, depuis Heidegger, reconnaît à la philosophie le droit de commenter la poésie, mais admet moins volontiers qu'une poésie puisse se constituer comme une pensée philosophique. Les élégies de Hölderlin (L'Errant, Stuttgart, Pain et vin, Retour...) ne mettent pas en scène l'expérience « élégiaque » d'une perte personnelle, mais disent la tension qui existe entre la proximité éminemment concrète de paysages et d'êtres aimés et l'aspiration à une synthèse dont la poésie a pour vocation d'énoncer douloureusement l'absence. L'idée de la synthèse et d'un dépassement des « limitations » (associées à l'entendement kantien, la faculté de séparation) revêt d'abord pour Hölderlin et Hegel une signification à la fois politique, religieuse et esthétique : elle implique le refus d'un système de différences entre le prince et le peuple (dont la Révolution française leur semble préfigurer le renversement), mais aussi le rejet d'une Église institutionnalisant une dépendance des fidèles à l'égard du clergé, et celui d'une coupure entre les poètes et le peuple. Dans cette perspective, la « Grèce » célébrée par Hölderlin devient alors la clé de cet accomplissement idéal, la figure de la synthèse ; elle est l'instrument poétique d'une critique du présent qui n'est pas exclusivement esthétique, et elle ne renvoie aucunement à un modèle artistique indépassable qu'il s'agirait d'imiter. L'Archipel, Pain et vin décrivent le parcours d'une telle réminiscence de la Grèce, dans ce qu'elle a d'intempestif : « Ô Grèce bienheureuse ! Ô toi, demeure à tous les dieux donnée,/ Quoi ! c'est donc vrai, ce qu'en notre jeunesse un jour nous entendîmes ?/ Ô salle des festins ! Ton sol ? Mais c'est la mer ! Tes tables ? Les montagnes/ Jadis à cette seule fin bâties, en vérité./ Mais les trônes, où[...]
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Écrit par
- Isabelle KALINOWSKI : directeur de recherche au C.N.R.S.
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