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ELEPHANT (G. Van Sant)

Réalisateur singulier, Gus Van Sant débuta au milieu des années 1980, avec des films longtemps restés inédits en France (MalaNoche, 1985). Également peintre, musicien et photographe, il a élu domicile à Portland, dans l'Oregon. C'est dans cette ville qu'il situe l'action de la plupart de ses films. Avec Drugstore Cowboy (1989) et MyOwnPrivate Idaho (1991), il acquiert une véritable renommée, en traitant de façon à la fois réaliste et poétique des sujets sociaux graves, dans l'Amérique provinciale contemporaine : délinquance, drogue, marginalité adolescente, prostitution masculine. Après l'échec d'une comédie décousue, Even Cowgirls Get the Blues (1993), il va peu à peu rencontrer le succès populaire, d'abord avec Prête à tout (1995, avec Nicole Kidman), une grinçante satire de l'arrivisme dans le monde des médias. Deux œuvres classiques suivront, où le thème de l'adolescence tourmentée sert un propos plus consensuel : Will Hunting (1997) et À la recherche de Forrester (2000). Ces deux films sont séparés, en 1998, par un exercice post-moderne « sacrilège » : le remake presque plan par plan de Psychose d'Alfred Hitchcock. Avec Gerry (2002), puis Elephant, produit par la comédienne Diane Keaton et financé par la chaîne câblée H.B.O., Van Sant quitte le cinéma des majors pour revenir au cinéma indépendant de ses débuts ; des budgets modestes, des scénarios personnels et une liberté de ton retrouvée lui permettent de donner le meilleur de lui-même.

Présenté au festival de Cannes 2003, Elephant a remporté la palme d'or ainsi que le prix de la mise en scène. Par le biais de la fiction, le film de Gus Van Sant évoque le drame du lycée de Columbine (Littleton, Colorado), qui était aussi le point de départ du documentaire de Michael Moore, déjà primé l'année précédente dans le même festival (Bowling for Columbine) : deux adolescents déclenchèrent une fusillade dans leur établissement scolaire, faisant de nombreuses victimes, parmi leurs camarades aussi bien que dans le personnel du lycée, avant de se suicider. Contrairement au film de Moore, Gus Van Sant n'explique rien. Il se contente de « montrer » : l'oppression calme, l'hypocrisie banale, l'étouffant conformisme tissent leur gangue sans heurt, laminant sourdement les comportements. Jusqu'au moment où la violence explose : le cinéaste abandonne alors le spectateur en plein désarroi. Sa démarche rejoint ainsi celle d'autres cinéastes américains indépendants, au style très différent, comme Todd Solonz (Bienvenue dans l'âge ingrat, Happiness) et Larry Clarke (Kids, Bully, Ken Park). Gus Van Sant, quant à lui, parvient à un étrange équilibre entre le pur exercice de style (mouvements de caméra, ralentis, déconstruction du récit) et le document de cinéma-vérité (la plupart des lycéens ont improvisé leur dialogue).

Suivis de près par une caméra fluide, plusieurs adolescents vivent une journée apparemment comme les autres, dans un lycée américain. L'aspect documentaire d'Elephant est accentué par l'observation d'événements anodins, et par la spontanéité des lycéens, comme pris sur le vif. La mobilité de la caméra et la beauté des images provoquent dans un premier temps une sorte de griserie formelle, accentuée par l'utilisation discrète du ralenti dans certains plans, et surtout par une dislocation temporelle qui rappelle que nous sommes bien dans une fiction, et non dans le réel : par le biais de quelques flash-back, nous reconnaissons d'une séquence à l'autre les mêmes instants, refilmés avec des protagonistes qui, la première fois, étaient des figurants. Par exemple, Eli, le photographe amateur (Elias McConnell), prend un cliché d'un de ses camarades, tandis qu'une silhouette féminine traverse le champ de la caméra. Quelques minutes plus tard, nous suivons Michelle, une lycéenne[...]

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Écrit par

  • : membre du comité de rédaction de la revue Positif, critique et producteur de films

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