ÉLEVAGE
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L’élevage désigne l’ensemble des activités mises en œuvre pour assurer la production, la reproduction et l’entretien des animaux dits domestiques afin d’en obtenir différents produits ou services. Dans les pays riches, il s’agit principalement de production de viande, de lait, d’œufs, parfois de cuir et, plus localement, de force de travail et de fumure. Dans quelques sociétés traditionnelles, on continue à en attendre richesse et prestige.
Les activités d’élevage ont beaucoup évolué au cours de l’histoire. Trois âges – pastoral, agricole et industriel – se sont déjà succédé, tout en demeurant de nos jours juxtaposés dans l’espace, compte tenu de l’existence, selon les lieux considérés, de décalages dans les évolutions des sociétés. La place de l’élevage au sein de l’ensemble de la production agricole varie fortement selon les grandes régions du globe : fondamentale chez les peuples pasteurs d’Asie centrale, elle apparaît limitée dans les « civilisations du végétal » d’Asie orientale. Une originalité de l’Europe est d’avoir associé de longue date élevages et cultures.
L’élevage suscite de nombreux débats qui portent sur la lutte contre le changement climatique, la gestion de l’environnement, la compétition entre cultures destinées à nourrir directement les hommes et productions végétales mobilisées pour l’alimentation des animaux d’élevage ou encore les vives concurrences se manifestant sur les marchés internationaux.
Les trois âges de l’élevage
À l’échelle de la planète, les espaces agricoles directement destinés aux activités d’élevage (prairies permanentes et terrains de parcours) couvrent 3 400 millions d’hectares, soit une superficie plus de deux fois supérieure à celle qui est consacrée aux différentes cultures (1 550 millions d’hectares). Il convient d'y ajouter une bonne partie des terres cultivées portant des grains : les animaux d’élevage consomment environ le tiers de la production mondiale de céréales et la quasi-totalité des tourteaux issus de la trituration des graines oléagineuses. Ce sont ainsi près de 80 p. 100 des espaces agricoles mondiaux qui se trouvent mobilisés, directement ou indirectement, par et pour des activités d’élevage.
Afin de pouvoir faire face à l’accroissement de la demande en protéines d’origine animale, les techniques de production ont connu une succession de révolutions. On peut distinguer trois âges, constituant autant d’étapes dans un processus d’intensification croissante de la production. Avec les possibilités nouvelles qu’ouvrent les recherches conduites dans le domaine des biotechnologies, les prémices d’un quatrième âge se manifestent. La succession dans le temps de ces différentes étapes n’implique toutefois pas que les formes les plus anciennes aient disparu : elles se trouvent encore assez largement représentées dans bien des régions de notre planète.
L’âge pastoral
Alors que l’élevage a progressivement relayé la chasse, le pastoralisme est le fait de populations qui vivent essentiellement des produits de leurs troupeaux. Les élevages pratiqués portent sur des animaux qui peuvent se contenter d’apports alimentaires réduits, qu’il s’agisse d’ovins, de caprins, de dromadaires, de chameaux, de rennes ou, plus rarement, de bovins. La végétation herbacée ou arbustive consommée par les animaux est une végétation spontanée, souvent saisonnière, impliquant donc des déplacements parfois sur de longues distances des hommes et de leurs troupeaux. Ce mode d’alimentation des animaux est assimilable à une cueillette, la base fourragère n’étant pas, ou très peu, entretenue par les éleveurs. On rencontrait, et l’on rencontre encore, de telles formes de vie pastorale dans des milieux de steppe, de savane ou de toundra où les conditions naturelles très rudes rendent très aléatoire, voire impossible, la mise en place de cultures. C’est le cas dans différentes régions semi-arides froides ou chaudes de la planète et dans les zones montagneuses au-delà d’une certaine altitude (quelques centaines de mètres aux hautes latitudes, plusieurs milliers de mètres aux latitudes tropicales).
Le pastoralisme, forme très extensive d’élevage, implique de très faibles densités de population et de longs déplacements, donc l’accès à de très vastes espaces. Dans les cas où la régulation des effectifs animaux n’est plus organisée et où ceux-ci dépassent les ressources fourragères disponibles, des phénomènes de surpâturage se produisent, comme on le constate dans le Sahel (Afrique) ou en Mongolie (depuis la décollectivisation).
Sur les bordures des régions désertiques, le pastoralisme correspond à différentes formes de nomadisme et de semi-nomadisme telles celles qui sont pratiquées par les Touareg ou les Peuls dans la zone sahélienne. Dans les montagnes du pourtour méditerranéen, il prend la forme de différents types de transhumance. On distinguait traditionnellement les transhumances directes ou ascendantes (les troupeaux venus des plaines méditerranéennes où ils passaient l’hiver montaient dans les alpages en été) des transhumances inverses ou descendantes (les troupeaux montagnards descendaient en hiver vers les piémonts ou les plaines littorales). Le premier type était représenté par les transhumances venues des plaines de Provence ou du Languedoc ; le second par celles des ovins et caprins venus des Abruzzes et descendant hiverner dans la plaine des Pouilles en Italie. En Corse existait même une transhumance double, les propriétaires installés à mi-hauteur (dans les villages de la châtaigneraie) envoyant librement leurs troupeaux en hiver dans les plaines littorales et en été dans les alpages.
Toutes ces formes de vie pastorale ont évolué : les troupeaux transhumants se déplacent moins que jadis et le font désormais souvent en camion. Localement, dans les Alpes, la présence du loup menace les systèmes transhumants et les avis demeurent divergents quant aux possibilités de coexistence entre prédateurs et troupeaux d’ovins. Dans les régions semi-arides de l’Afrique et du Moyen-Orient, les déplacements des troupeaux se trouvent de plus en plus limités du fait d’une sédentarisation encouragée par les États. Les tribus nomades, qui avaient pu constituer jadis de véritables puissances militaires et même politiques, entretiennent aujourd’hui des relations délicates, voire conflictuelles, avec les États modernes, comme dans le Sahel, d’autant que le commerce caravanier a quasiment disparu et que bien des terrains de parcours auxquels ces éleveurs avaient accès jadis sont aujourd’hui cultivés par des agriculteurs sédentaires. Ces populations se trouvent ainsi repoussées vers des espaces où les risques climatiques et écologiques de dégradation des terrains de parcours deviennent considérables.
L’âge agricole
L’agropastoralisme fait la transition avec l’âge précédent. Dans les montagnes européennes et parallèlement à l’utilisation des alpages, les prairies de fond de vallée ont été très tôt entretenues (il fallait produire du fourrage pour l’hiver) et des cultures ont participé à l’alimentation des animaux. Localement, bien des prairies ont été irriguées.
L’âge agricole correspond à une première intensification des activités d’élevage avec un passage à des systèmes semi-intensifs. En relation avec la première révolution agricole qui débute en Angleterre au xviiie siècle, mais qui ne se généralise véritablement en Europe que dans la seconde moitié du xixe siècle, la nourriture des animaux d’élevage est nettement améliorée : elle est permise par la mise en culture des jachères grâce à diverses plantes fourragères. Cela favorise une intégration de l’élevage dans l’ensemble des activités de production agricole et l’émergence d’un cercle vertueux : avec des animaux plus nombreux et mieux nourris, les agriculteurs disposent d’une plus grande force de travail (pour les labours, les transports), de plus de viande et de lait, de plus de fumure, ce qui permet un accroissement des rendements des plantes cultivées. Les sélections d’animaux en fonction d’attentes spécifiques (production de lait, de viande...) de la part des agriculteurs et des marchés se développent à cette époque. Parallèlement, l’entretien des prairies naturelles par des opérations de drainage et d’irrigation progresse de façon importante. C’est l’époque où l’exploitation paysanne de polyculture-élevage, combinant cultures et activités d’élevage, devient le modèle dominant en Europe de l’Ouest. Toutefois, à partir des années 1960, c’est le phénomène inverse qui se produit tant au niveau des exploitations agricoles qu’à celui des régions agricoles. Ainsi, on assiste à une spécialisation soit dans la production de grains – telle celle constatée dans les exploitations de grandes cultures du centre du Bassin parisien – soit dans la production animale – comme en Bretagne, et de façon plus générale dans le Grand Ouest, ou les régions montagneuses.
L’âge industriel
L’âge industriel correspond à l’industrialisation et à la mondialisation des activités d’élevage ainsi qu’à la mise en place de systèmes d’élevage intensif, voire très intensif. Cela permet de produire des quantités très importantes sur des espaces peu étendus, particulièrement limités dans le cas des élevages « hors-sol » qui constituent l’archétype de ces élevages intensifs. Les animaux ne quittent plus les bâtiments et sont nourris à partir de denrées fourragères (ensilages, céréales, tourteaux d’oléagineux…) qui leur sont apportées. Dans le contexte de la mondialisation, cette nourriture est susceptible de provenir de différents continents. Il est ainsi courant que les animaux des élevages hors-sol de volailles ou de porcs situés en Bretagne soient nourris avec des céréales venues du Bassin parisien et des tourteaux de soja provenant du Brésil, d’Argentine ou des États-Unis. Les produits de ces élevages sont ensuite commercialisés sur l’ensemble du territoire français, voire dans l’Union européenne, en Russie et jusqu’au Moyen-Orient pour les poulets, où ils se trouvent de plus en plus concurrencés par les exportations brésiliennes.
La diffusion très rapide – toutefois inégale selon les productions, les pays et les régions – de ces systèmes d’élevage intensif est à mettre en relation avec un ensemble d’avancées scientifiques et zootechniques : généralisation de la sélection scientifique des animaux, mise au point de rations alimentaires spécifiques distribuées aux animaux en fonction de la nature de leurs apports et de leurs coûts relatifs, maîtrise considérablement améliorée des conditions sanitaires, installation de bâtiments d’élevage mieux adaptés et autorisant une mécanisation poussée des différentes opérations, comme celle des carrousels de traite pour les vaches laitières.
L’aviculture (élevage des oiseaux et des volailles), qui concerne des animaux de petite taille et à reproduction rapide (moins de deux mois, ce qui facilite le travail des chercheurs et permet une rotation rapide des capitaux investis par les producteurs), est l’activité qui a le plus et le plus vite profité des innovations scientifiques et techniques associées à l’informatique. Cela explique que la calorie d’origine avicole est devenue la moins chère de toutes les calories animales. La diffusion mondiale des produits avicoles, y compris auprès de populations dont les revenus demeurent modestes, a été en outre favorisée par le fait que les viandes de volailles ne font l’objet d’aucun interdit alimentaire d’origine culturelle ou religieuse, et sont consommées dans tous les pays.
Les progrès techniques, scientifiques et informatiques ont également concerné les élevages bovins et porcins. Pour les premiers, l’insémination artificielle a permis une amélioration génétique rapide des cheptels, en facilitant la diffusion des races les plus productives. Cette technique de reproduction contribue toutefois à réduire la diversité génétique, les races les plus rustiques étant désormais en recul et demandant à être protégées. Dans les pays riches, la traite des vaches laitières est désormais très largement mécanisée. Toutes ces améliorations ont permis la création de fermes géantes de 1 000 à 3 000 vaches, voire davantage, comme on peut en rencontrer aux États-Unis (surtout en Californie), au Royaume-Uni ou en Allemagne orientale. Un des avantages de ces très grosses unités de production est de pouvoir rentabiliser plus aisément l’installation d’un méthaniseur (ou digesteur). Ce type d’installation qui extrait un biogaz – le méthane – des déjections d’animaux d’élevage permet alors de produire de la chaleur et de l’électricité. Lors de cette opération d’extraction, la matière organique incorporée dans le méthaniseur se trouve transformée en « digestat », fertilisant de bonne qualité proche d’un compost. La critique majeure à l’encontre de ces fermes géantes, en France, concerne le modèle lui-même, celui d’une agriculture à salariés venant supplanter une agriculture familiale.
Dans les élevages porcins les plus modernes, qui ont également bénéficié d’importantes améliorations génétiques grâce à l’insémination artificielle, l’informatique permet désormais le tri automatique des animaux (dont le choix du moment le plus opportun pour les envoyer à l’abattoir) ainsi qu’une gestion appropriée de leur alimentation en fonction de différents paramètres, d’ordre biologique et d’ordre économique. Aux États-Unis, grâce au recours à l’informatique, la quantité de travail nécessaire pour obtenir un gain d’une quantité donnée de viande de porc dans un élevage engraisseur de grande dimension a pu être divisée par sept en vingt ans. Dans ce pays, les élevages porcins deviennent de plus en plus spécialisés : les élevages naisseurs-engraisseurs y reculent de plus en plus au profit de très grands élevages spécialisés, soit dans le naissage, soit dans l’engraissement, en relation avec une intégration croissante vis-à-vis des entreprises en aval (fabricants de produits industriels à base de porc) – comme la société américaine Smithfield Foods, passée sous contrôle chinois en 2013. Cette évolution se retrouve également, plus ou moins poussée, dans bien d’autres pays. Il en résulte une concentration toujours plus grande des exploitations ainsi qu’une concurrence de plus en plus rude sur les marchés. Cette dernière est d’autant plus difficile pour les producteurs français, par exemple, que les pays directement concurrents – Pays-Bas, Danemark, Allemagne… – ont développé des filières interprofessionnelles plus équilibrées et mieux organisées ainsi que des structures d’abattage plus concentrées. C’est une des causes majeures des difficultés rencontrées par les élevages français depuis 2015.
Vers un quatrième âge de l’élevage ?
Depuis plusieurs décennies,les techniques de congélation du sperme, des ovaires et des embryons des animaux d’élevage avaient transformé, en particulier chez les bovins, les conditions de reproduction des animaux en facilitant une sélection des géniteurs les plus performants. Désormais les transferts de gènes et les nouvelles techniques d’amélioration génétique (NBT pour new breedingtechniques) permettent de transformer les génomes. Dans différents pays, dont les États-Unis, certains animaux d’élevage ovins ou bovins sont aujourd’hui reproduits par clonage, ce qui peut poser ailleurs des problèmes d’acceptabilité sociale.
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Écrit par
- Jean-Paul CHARVET : professeur émérite à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, membre de l'Académie d'agriculture de France
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