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ÉLÈVE AU CENTRE

L'expression « l'élève au centre du système éducatif » résume l'esprit de la loi d'orientation de l'éducation nationale française (loi Jospin) de 1989. Ce slogan suscite tantôt le consensus et tantôt la querelle. C'est qu'il condense des tendances idéologiques d'origines différentes. Lorsque Friedrich Adolph Wilhelm Diesterweg lance la formule en Allemagne en 1836 et lorsque Octave Gréard, collaborateur de Jules Ferry, la reprend à son compte en 1892, ces pédagogues sourcilleux ne le font pas au nom d'une doctrine permissive et laxiste mais bien dans un souci humaniste d'amélioration du service public d'enseignement. Rien n'est plus étranger à ces moralistes néo-kantiens que le culte de l'enfant-roi, idole d'une société de consommation, tyran des familles et rebelle à toute discipline. C'est pourtant cette idolâtrie de l'enfance que bien des comités d'enseignants et des philosophes médiatiques ont cru combattre en dénonçant la démagogie de la loi de 1989.

Puérocentrisme

Il faut voir, dans ce mot d'ordre de « l'élève au centre », un écho lointain de la révolution copernicienne qu'opère la bourgeoisie du xviiie siècle : découverte de l'enfance comme âge spécifique avec ses valeurs propres d'innocence, de plasticité. Désormais, médecins, hygiénistes, psychologues, juristes et éducateurs vont se pencher avec sollicitude sur l'enfance, ses rythmes biologiques, ses caractéristiques psychologiques, ses conditions familiales et sociales et enfin ses droits. Au cours du xxe siècle, alors que l'enfance devient une cause à défendre, le style éducatif des familles change avec la recherche du consentement de l'enfant, conçu comme une personne. La crise de l'autorité et des repères éducatifs – que fustige Hannah Arendt dans son analyse de l'école américaine – vient colorer de permissivité ce puérocentrisme diffus, à tel point que la plasticité enfantine ou adolescente devient la norme de l'adulte voué désormais à une permanente immaturité. Les rapports adultes-enfants se recomposent ainsi en multiples figures : valorisation d'un mode de l'enfance séparé de celui des adultes ; à l'opposé, confusion des âges selon laquelle il n'y a décidément plus d'enfants ; et, plus récemment, écoute malaisée de la parole enfantine, à la fois plaintive et accusatrice, dans une société où le judiciaire devient la régulation ultime.

Si la loi de 1989 inspire le consensus, c'est que ce puérocentrisme attrape-tout conjugue l'influence d'un humanisme chrétien mâtiné de psychanalyse, l'héritage de l'École nouvelle, l'ambition réformiste du progressisme laïque et la permissivité ambiante d'une société de consommation. Cette conjonction oblige certes à interroger la figure mythique de l'école de Jules Ferry, mais dans l'ambiguïté et la confusion. Le consensus devient querelle, quand on descend de la loi aux applications. Toute volonté de réformer les conditions d'apprentissage se voit souvent taxée de démission culturelle et de démagogie. La notion de centre invite en effet au dualisme en obligeant à dévaloriser une périphérie que chacun meuble de ses propres obsessions : le savoir, le maître ou l'institution. Elle suscite chez nombre d'enseignants la recherche souvent brouillonne d'un « pédagogiquement correct » et chez d'autres une dénonciation souvent injuste de toute velléité réformatrice.

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