KAZAN ELIA (1909-2003)
« Tout le monde a ses raisons »
À partir de Viva Zapata, Kazan, désormais maître de son écriture cinématographique, peut utiliser la caméra à son gré. La période, douloureuse pour lui, des années 1952-1954, l'a délivré de tout manichéisme : il sait désormais que – selon les leçons de J. Renoir et de La Règle du jeu, qu'il admirait fort – « tout le monde a ses raisons », et que tout acte peut être considéré sous divers aspects ; c'est ce qui donne à ses films suivants leur tension et leur frémissement. La série de ses chefs-d'œuvre s'ouvre en 1955 avec À l'est d'Éden (film mythique qui fournit à James Dean son premier et son meilleur rôle), suivi de Baby Doll (1956, sur un scénario de Tennessee Williams), Un homme dans la foule (1957), Le Fleuve sauvage (1959, considéré par Marguerite Duras comme l'« une des plus belles histoires d'amour montrées au cinéma »), La Fièvre dans le sang (1961, peut-être son chef-d'œuvre), America, America (1964, l'histoire de son oncle Joe Kazan et de son départ de la Turquie pour les États-Unis), L'Arrangement (1969), Les Visiteurs (1972, de jeunes Américains après le Vietnam), et enfin Le Dernier Nabab (1976, hommage à Hollywood et hymne au cinéma à travers l'adaptation d'un roman inachevé de Fitzgerald).
Amérique
Tous ces films retracent l'histoire des rapports passionnés de Kazan et de l'Amérique. L'Amérique est pour lui une terre d'asile (le mythe américain plane tout au long du film America, America), une terre de progrès et de liberté (les travaux du New Deal, et notamment la Tennessee Valley Authority, sont évoqués dans Le Fleuve sauvage), mais aussi un pays xénophobe (violences subies par le vieil exilé allemand dans À l'est d'Éden), parfois raciste (le sort des Noirs dans Le Fleuve sauvage), puritain (c'est un des thèmes de Baby Doll et de La Fièvre dans le sang) et violent (bagarres dans Le Fleuve sauvage et La Fièvre dans le sang, viol dans Les Visiteurs). L'œuvre de Kazan retrace une partie de l'histoire américaine contemporaine, depuis l'entrée en guerre en 1917 (À l'est d'Éden) jusqu'à la guerre du Vietnam (Les Visiteurs), en passant par la crise de 1929 (La Fièvre dans le sang), le New Deal (Le Fleuve sauvage), l'évocation de Hollywood (Le Dernier Nabab), de l'American way of life (L'Arrangement), et de la puissance des médias (Un homme dans la foule).
Conflits
De même qu'il aime l'Amérique malgré ses imperfections, de même Kazan aime ses héros déchirés, violents, indécis, et ne leur donne jamais ni tort ni raison. Les héros de Kazan sont toujours en situation de conflit, le plus grave de ces conflits opposant le fils à son père (À l'est d'Éden) ou, plus généralement, les enfants aux parents (La Fièvre dans le sang). Le passage à l'âge adulte se fait au moment où le pardon intervient. Il faut citer ici deux séquences admirables de La Fièvre dans le sang. Dans l'une, le père de Bud (Warren Beatty), qui se sait ruiné par le krach boursier et va se suicider la nuit suivante, dit à son fils qu'il a cru agir pour son bien en l'éloignant de Deanie (Natalie Wood), qu'il aimait ; Bud regarde alors simplement son père, avec pitié et sans amertume : il lui a pardonné et lui-même va devenir adulte. Dans une autre scène, Deanie rentre chez ses parents après un séjour en clinique psychiatrique, et sa mère lui demande pardon de l'avoir séparée de Bud ; Deanie, sans un mot, enlace alors sa mère et l'embrasse. Au contraire, dans À l'est d'Éden, le père de Cal (James Dean) refuse d'accepter une somme d'argent que celui-ci a gagnée pour la lui offrir, et traite son fils de « trafiquant ». Cal se révolte et ne pardonnera à son père que lorsque celui-ci, paralysé, sera près[...]
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Écrit par
- Christophe MERCIER : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé de lettres modernes, éditeur
Classification
Média
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