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KAZAN ELIA (1909-2003)

Lyrisme des sentiments et des formes

Cette vision désabusée et pessimiste du monde est exprimée avec un constant lyrisme. Au « lyrisme des sentiments » qui se dégage des scènes entre Natalie Wood et Warren Beatty, dans La Fièvre dans le sang, ou de celles entre Montgomery Clift et Lee Remick, dans Le Fleuve sauvage répond le « lyrisme des paysages » : cascades ruisselantes de La Fièvre dans le sang ; immenses champs de blé dorés dans lesquels court le lutin James Dean, filmé en plan éloigné, dans À l'est d'Éden ; maison inachevée, la nuit, au bord d'une plage, dans Le Dernier Nabab ; plaines désertiques et brûlées de soleil dans America ; champs de coton de Baby Doll.

Dans ses films en couleurs (notamment Le Fleuve sauvage et À l'est d'Éden, en scope, et La Fièvre dans le sang, en technicolor), Kazan montre un sens rare et très moderne de l'utilisation psychologique des couleurs : couleurs verdâtres, étouffantes et tragiques de la pièce où meurt le père de Dean dans À l'est d'Éden ; rouges et ors agressifs de la boîte de nuit de La Fièvre dans le sang, dans laquelle les riches Américains de 1929 tentent d'oublier la crise qui ravage leur pays, couleurs ocres et ternes du Fleuve sauvage, exprimant la douceur d'un passé en train de se défaire. Tout décor chez Kazan est signifiant : étudié dans ses moindres détails, il a sa respiration propre, dégage une impression d'authenticité. La modernité de Kazan s'exprime aussi bien par l'utilisation de décors naturels (il tourne le moins possible en studio) que par celle des techniques de pointe (16 mm « gonflé » en 35 mm dans Les Visiteurs).

À partir de 1964, parallèlement à sa carrière de cinéaste, Kazan conduit une activité de romancier (America, America, 1964 ; L'Arrangement, 1967 ; Les Assassins, 1971 ; Le Monstre sacré, 1974 ; Actes d'amour, 1979 ; The Anatolian, 1982). Les films du même nom ont d'ailleurs été tirés des deux premiers romans. Ces livres, sans grand éclat littéraire, forment un « matériau » qui pourrait donner naissance à des films admirables, et l'on espère voir Kazan les tourner un jour.

Peintre humaniste et pessimiste de la condition humaine, c'est d'un cinéaste comme Renoir que Kazan semble le plus proche : même profondeur, même tendresse, même compréhension pour les êtres, même maîtrise souveraine de la mise en scène et des couleurs, même variété de tons (du pathétique flamboyant de À l'est d'Éden et de La Fièvre dans le sang à la mélancolie du Fleuve sauvage et à l'humour corrosif de Baby Doll). Dans tous ses films, on sent une passion profonde pour le cinéma et si, par malheur, Kazan ne devait plus tourner, on pourrait considérer Le Dernier Nabab (dans lequel on rencontre une pléiade de stars : Jeanne Moreau, Robert De Niro, Jack Nicholson, Tony Curtis, Dana Andrews, Robert Mitchum), comme un film testamentaire, un hommage vibrant et passionné au cinéma et à ses artistes.

— Christophe MERCIER

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé de lettres modernes, éditeur

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Média

Sur les quais, E. Kazan - crédits : Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Sur les quais, E. Kazan

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