CANETTI ELIAS (1905-1994)
« Kant prend feu »
Le roman Auto-da-fé dont le titre original Die Blendung signifie « l'aveuglement », d'une originalité et d'une modernité singulières qui se situent entre Kafka et Beckett, est une sorte d'étude clinique de l'effondrement d'un intellectuel. Le sinologue Peter Kien, enfermé dans ses livres et dans sa subjectivité, « une tête sans le monde » (titre de la première partie) entourée d'un petit monde de créatures caricaturales, hideuses et inquiétantes : son concierge, sa femme de ménage cupide qu'il a eu la faiblesse d'épouser, le nabot champion d'échecs Fischerle qui l'exploite et le tourmente. L'érudit orientaliste, l'intellectuel humaniste Kien est la victime bouffonne et pathétique de cet entourage grotesque et monstrueux. La deuxième partie (intitulée « Un monde dans la tête ») montre l'évolution de Kien vers la schizophrénie. Finalement, tout sombre dans le chaos (« Un monde sans tête » est le titre de la troisième partie) et Kien, après avoir mis le feu à sa bibliothèque, périt sur un bûcher de livres et de manuscrits. Comme l'écrivait Hermann Broch dans sa présentation de l'auteur le 23 janvier 1933 (il connaissait alors le roman sous un titre abandonné par la suite : Kant prend feu), « l'individu, et avec lui sa liberté individuelle, est toujours pour Canetti le porte-parole de l'a-normalité, de la folie ». La fin du monde apocalyptique est une allégorie du retournement de la culture européenne en barbarie, de l'engloutissement de l'intellectuel individualiste dans le raz-de-marée des mouvements de masse.
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Écrit par
- Jacques LE RIDER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Média
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