VITTORINI ELIO (1908-1966)
Vittorini publia ses premiers récits dans la page littéraire des journaux en 1927, deux ans après la promulgation des lois fascistes sur la presse. En 1941-1942, à quelques mois d'intervalle, la censure arrêta son anthologie intitulée Americana, dont l'enthousiasme sonnait comme un défi aux gloires de l'Italie unifiée, et le second tirage de Conversation en Sicile, un roman qui témoigne du désespoir opposé par le Mezzogiorno à une oppression multiforme. Immobiliser son œuvre à l'horizon du cosmopolitisme ou dans l'enclos d'une région, fût-ce pour en souligner l'insertion dans l'histoire, serait méconnaître qu'elle existe encore telle qu'elle a surgi, non pas refuge mais projet.
Apprentissages
Né à Syracuse d'un père cheminot, Elio Vittorini passa son enfance le long d'une voie ferrée dont on ne sait s'il faut dire qu'elle relie au continent le cœur montagneux de la Sicile ou qu'elle déchire sa léthargie des stridences du monde industriel. À dix-sept ans, après plusieurs fugues, il prit ce train jusqu'en Vénétie Julienne et s'engagea comme ouvrier sur un chantier de construction. En renonçant aux études, il ne refusait pas seulement la promotion sociale qu'eût assurée un diplôme, il se mettait en dehors de la culture traditionnelle. Quand il eut quitté le bâtiment (1930), puis l'imprimerie (1934), c'est en apprenti qu'il exerça son premier métier d'intellectuel, celui de traducteur, grâce aux rudiments d'anglais que lui avait enseignés un ouvrier typographe, sans cesser de travailler à son œuvre propre avec une assurance croissante qui le portait du récit (Piccola Borghesia, 1931) au roman (Il Garofano rosso, 1933-1934). La formation de l'homme de lettres paraissait achevée quand éclata la guerre d'Espagne. « Les premières voix non fascistes » captées à la radio criaient de Madrid et de Barcelone « qu'on pouvait échapper à la servitude et s'insurger contre elle » (Journal en public, Diario in pubblico, 1957). Il fallait pour cela désapprendre jusqu'au langage romanesque qui, hérité du vérisme, ne reconstruit du monde que son évidence figée. Vittorini interrompit la rédaction d'un roman qu'il ne publia que vingt ans plus tard, inachevé (Erica e i suoi fratelli, 1956). Il chercha, en écrivant Conversation en Sicile (Conversazione in Sicilia, 1938-1939), comment la parole peut se faire musique pour saisir dans la réalité les accords en puissance, pour imprimer le rythme du sang aux « fureurs abstraites ». Ce fut le début d'un engagement civique particulièrement fécond, qui aboutit en 1945 à l'un des premiers romans de la Résistance, Les Hommes et les autres (Uomini e no), et à la création d'une revue, Il Politecnico, située dans la mouvance du Parti communiste auquel Vittorini adhérait. La revue cessa de paraître en décembre 1947, à la suite d'un débat où il avait revendiqué, contre les thèses officielles soutenues par Palmiro Togliatti, l'autonomie de la culture par rapport à la politique. En 1951, il se rangeait définitivement parmi les « ex-communistes ». On eut le sentiment que la retraite politique entraînait le silence littéraire. Deux œuvres posthumes, un roman et des notes destinées à une « idéologie de la littérature », attestent que l'activité des quinze dernières années de sa vie dans l'édition et le journalisme fut portée, comme l'ensemble de son œuvre, par une tension de l'être entier contre les automatismes et les cloisonnements. Il mourut à Milan.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Valeria TASCA : agrégée de lettres, maître assistante de littérature comparée à l'université de Paris-III
Classification
Média
Autres références
-
ITALIE - Langue et littérature
- Écrit par Dominique FERNANDEZ , Angélique LEVI , Davide LUGLIO et Jean-Paul MANGANARO
- 28 412 mots
- 20 médias
Il est significatif que les deux écrivains de carrière qui ont renouvelé la prose italienne en lui ôtant sa toge antique, Cesare Pavese et Elio Vittorini, se soient inspirés de la littérature la moins littéraire, de la littérature américaine, qui, elle aussi, compte bon nombre d'autodidactes. Pavese...