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BISHOP ÉLISABETH (1911-1979)

Née à Worcester (Massachusetts) le 8 février 1911, Elizabeth Bishop a été élevée en Nouvelle-Écosse par ses grands-parents, puis par une tante, à la suite du placement de sa mère en hôpital psychiatrique en 1915 et du décès de son père en 1919.

« Toute ma vie, écrira-t-elle, je me suis comportée comme l'alouette de mer – toujours courant sur le bord de divers pays et continents, „en quête de quelque chose“. J'ai toujours senti qu'il me serait impossible de vivre vraiment à l'intérieur, loin de l'océan ; et j'ai toujours vécu avec l'océan à proximité, et bien souvent à portée du regard. Bien sûr, je sais – on me l'a souvent fait remarquer – que la plupart de mes poèmes sont géographiques, qu'ils parlent des côtes, des plages, des rivières courant à la mer, et que la plupart de mes titres sont également géographiques. »

Cette retenue teintée d'humour est caractéristique du style d'Elizabeth Bishop, dont l'œuvre poétique est d'une importance inversement proportionnelle à son volume. L'édition la plus complète à ce jour (The Complete Poems, 1927-1979, Farrar, Strauss & Ginoux, New York, 1983) ne compte que 275 pages, poèmes de jeunesse et traductions de poèmes étrangers compris (de Max Jacob, d'Octavio Paz, et de quelques-uns des plus grands poètes brésiliens), à côté des recueils qui lui ont valu d'être reconnue d'emblée comme l'un des poètes majeurs de ce siècle : North and South (1946), A Cold Spring (1961), Questions of Travel (1967), Geography III (1976), et de recevoir les prix les plus prestigieux (prix Pulitzer pour la poésie en 1956, National Book Award en 1969, notamment), sans parler de l'admiration que lui vouent ses amis et ses pairs : Marianne Moore, Robert Lowell, Randal Jarrell, Octavio Paz, Seamus Heaney ou John Ashbery.

Poèmes « géographiques », donc, que ceux d'Elizabeth Bishop ? Oui, si l'on veut, et nourris en effet des voyages incessants, de ville en ville, de pays en pays (non sans une certaine prédilection pour le Brésil), dans une existence que l'on dirait d'oiseau migrateur. Mais c'est aussi bien plus que cela : John Ashbery écrit très justement d'elle que son « grand sujet [...], c'est l'impression constamment renouvelée de découvrir l'étrangeté, l'irréalité de la réalité au moment même où on la saisit comme réalité ». Octavio Paz remarque de son côté qu'avec elle « les choses deviennent autre chose sans cesser d'être ce qu'elles sont ». Le pain, le thé, le poisson restent bien ce qu'ils sont, mais « du fond des minces contrées/de pain, thé, poisson », l'acuité du regard, l'intensité de l'attention font surgir un monde, « pays des longues marées/ou deux fois le jour la baie/s'en va loin de la mer/promener ses harengs... » Plutôt que de géographie, c'est donc, comme le dit Claude Mouchard, l'un de ses traducteurs français, de « géoscopie » qu'il faudrait parler, dans un jeu où le microscopique devient lui-même paysage, se dilate à la mesure d'un monde, tandis que le monde, le macrocosme, se contracte, s'absorbe et s'inclut dans une image. L'on songe évidemment au grain de sable cher à Blake, emphase prophétique en moins et humour en plus, mais davantage encore à Keats, eu égard à la musicalité profonde qui naît de cette vibrante présence au monde, ainsi qu'à Hopkins, pour ce qui est de la puissance de l'inscape, l'image absolument singulière que tel fragment de réel imprime en nous. Mais le plus saisissant sans doute, dans ce double mouvement d'échange et de renversement d'une extrême fluidité, nonobstant les brusques changements d'échelle, entre l'infiniment petit et l'infiniment grand, le proche et le lointain – entre le dedans et le dehors[...]

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Écrit par

  • : enseignant en littérature générale et comparée à l'université de Paris-VIII, poète et traducteur

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