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ÉLITE, notion d'

Ancien participe passé d'élire, le vocable « élite » est en usage en France à partir du xive siècle pour désigner les personnes qui sont considérées comme les meilleures ou les plus remarquables au sein d'un ensemble social déterminé. Ce groupe « choisi » – la « fleur » de la société – a eu pour noyau originaire la noblesse fondée sur l'hérédité ; au début du xixe siècle, il rassemble les individus que distingue la possession du sol – les propriétaires – et ceux qui détiennent le monopole des « capacités ». Ce processus d'élargissement, toujours régi par une logique de l'exclusion, est conforme aux valeurs promues par la Révolution française, et à ses vœux en matière de gouvernement.

Les premières définitions

En Grande-Bretagne, où la révolution industrielle fut précoce, une élite nouvelle s'est formée au xviiie siècle rassemblant gens d'affaires, de négoce et d'industrie. En France, c'est au cours du siècle suivant que s'agrégèrent à l'élite maîtresse de la fortune foncière des groupes auxquels la richesse mobilière, le capital industriel, le monopole de compétences intellectuelles ou techniques conféraient une supériorité sociale. Partout, cependant, la propriété ou l'appropriation d'un savoir font figure de critère de discrimination, effaçant la distinction juridique entre nobles et roturiers. Au xxe siècle enfin, la démocratisation de l'enseignement ainsi que la diffusion de la culture ont considérablement accru l'aire de recrutement de l'élite. Relayant l'information historique synthétisée par Guy Chaussinand-Nogaret (Une histoire des élites 1700-1848, 1975), l'observation empirique fait voir les différences plus ou moins marquées entre les positions occupées par les individus et les groupes sociaux.

L'étude de ces différences est à l'origine de théories sociologiques qui ont germé au tournant des xixe et xxe siècles. Manifeste dans tous les pays et à toutes les époques, l'opposition entre gouvernants et gouvernés a été conceptualisée, dès 1884, par Gaetano Mosca qui a défini l'élite comme minorité organisée. À Vilfredo Pareto (Traité de sociologie, 1916), il revient d'avoir construit un cadre d'analyse où sont distinguées, d'une part, l'élite au sens général, c'est-à-dire fondée sur un critère d'excellence et manifestée par des performances personnelles, et, d'autre part, l'élite au sens restreint, où se marque la prééminence qu'assurent la richesse, les relations mondaines, diverses ressources matérielles et symboliques, et qui perdure indépendamment des individus. Derrière l'opposition de ce qui s'énonce en termes de capacités personnelles, mesurées par des « indices de capacité », et de ce qui relève de la reproduction sociale se profile, en fait, celle des acteurs et des structures sociales.

Chez Pareto, la conception de l'élite, au sens restreint, est à rapporter à la représentation de la société comme ensemble hétérogène caractérisé par l'inégale distribution du pouvoir et des richesses, où se superposent une couche inférieure et une couche supérieure – elle-même divisée en élite gouvernementale et élite non gouvernementale. La tension entre élite et masse qui se dessine ici s'accompagne d'un doute sérieux sur une gestion authentiquement démocratique du corps social. Elle se double d'une concentration de l'attention sur la question du pouvoir. Dans ses Essais sur les tendances oligarchiques des démocraties (1911), Robert Michels a entrepris de démontrer l'impossibilité technique du gouvernement direct des masses, le besoin éprouvé par celles-ci d'être guidées, la nécessité de l'organisation, et, finalement, l'orientation oligarchique présentée par tout[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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