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ÉLITE, notion d'

De l'élite aux élites

Il convient de dissocier le constat empirique du point de vue normatif : une chose est de reconnaître, dans toute société, la prééminence d'une minorité qui concentre un maximum de pouvoirs, une autre de juger malséantes, voire choquantes, l'affirmation hautaine d'une supériorité ou la morgue d'une classe « élue ». L'évacuation des connotations élitistes ne suffit cependant pas à lever les difficultés que pose, dans l'analyse sociologique, la référence à cette notion ; elles ont été examinées par Giovanni Busino (Élites et élitisme, 1992) et Jacques Coenen-Huther (Sociologie des élites, 2004). La principale d'entre elles tient à l'usage en ce domaine du singulier ou du pluriel.

La conception moniste développée par Charles Wright Mills (L'Élite du pouvoir, 1956) fait de l'élite un ensemble homogène rassemblant toutes les autorités politiques, militaires et économiques qui dominent une société. Une conception pluraliste la décompose en élites spécialisées et concurrentes ; accordée au pluralisme démocratique, elle a été notamment illustrée par Robert Dahl (Qui gouverne ?, 1961), et tend aujourd'hui à s'imposer. En effet, il existe différents types d'élites respectivement fondées, dans un système social, sur la position ou la fonction, les performances, le pouvoir politique, les valeurs dominantes que certains groupes incarnent. Des élites se posent comme telles en raison de qualités naturelles (liens du sang, appartenance ethnique) ; d'autres doivent leur reconnaissance à l'aptitude, au mérite, à la compétence. Les critères d'attribution (ascription) prévalent dans les sociétés traditionnelles qui associent les avantages de la naissance à l'échelle statutaire ; les critères de performance (achievement) priment dans les sociétés modernes où ce que l'on fait importe plus que ce que l'on est.

Le recrutement, le rôle joué par les élites, les fonctions de leadership doivent donc être mis en relation avec les types de société (militaire, marchande, industrielle, technocratique) et d'État (fort ou faible) considérés – ce qui appelle une analyse comparative. Par ailleurs, les modes de gestion – la force, l'habileté, la bureaucratisation – pratiqués par les groupes dominants sont variés, ainsi que leur structure et leur orientation : les élites sont plus ou moins homogènes, plus ou moins intégrées et idéologiquement unifiées. Inégalement hégémoniques, elles sont les unes locales, les autres cosmopolites. Elles diffèrent enfin par leur tendance à l'assimilation ou au rejet de membres ou de groupes nouveaux. Ouvertes, elles restent en prise sur l'évolution sociale qu'elles orientent et contrôlent ; fermées, elles se fossilisent, subsistent résiduellement ou disparaissent. Le renouvellement et la circulation des élites relèvent de processus qui ont reçu diverses interprétations ; celle de Pareto, marquée d'un certain pessimisme historique, fait de l'histoire « un cimetière d'aristocraties ».

Indissociable des notions de hiérarchie et de domination, de stratification et de mobilité sociales, la notion d'élite est finalement problématique. Elle apparaît, dans l'opinion publique, confondue avec une classe dirigeante qui se réduirait à la classe politique largement professionnalisée et médiatisée, celle qui, en France, est issue des grandes écoles pourvoyeuses des élites républicaines sélectionnées par les concours et formellement certifiées : la « noblesse d'État » étudiée par Pierre Bourdieu (1989). La circulation du public au privé, de l'appareil d'État au monde des affaires, est cependant fréquente chez ceux qui ont la réputation de détenir un pouvoir, d'exercer une influence ou de peser sur une prise[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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