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ELIZABETH FINCH (J. Barnes) Fiche de lecture

Elizabeth Finch(trad. J.-P. Aoustin, Mercure de France, 2022), quatorzième roman de l’écrivain britannique Julian Barnes, surprend tout autant qu’il trouve sa place parmi les publications polymorphes de cet auteur caméléon. Ouvrage de fiction mettant en scène un narrateur fasciné par son étonnante professeure de culture et de civilisation, il comporte en son volet central un développement inattendu sur Julien l’Apostat (331-363), dernier empereur païen de Rome qui échoua à endiguer l’avancée du christianisme. Barnes est coutumier du mélange des genres et des portraits décalés de figures réelles, depuis le magnifique Perroquet de Flaubert (1984), roman-essai insolite sur l’ermite de Croisset, jusqu’à Arthur &George (2005), récit d’une erreur judiciaire qu’Arthur Conan Doyle s’efforça de réparer. Les ouvrages non fictionnels de Barnes brouillent tout autant les frontières génériques, tels Rien à craindre (2008), où l’auteur livre ses réflexions sur la mort, Dieu et la religion, Quand tout est déjà arrivé (2013), composé d’un essai, un texte semi fictionnel et une méditation bouleversante sur le deuil, ou encore L’Homme en rouge (2019), peinture composite et vivifiante du Paris de la Belle Époque.

Par son entremêlement de fiction, d’histoire et de méditations philosophiques, Elizabeth Finch s’inscrit dans la lignée de ces ouvrages audacieux qui, autant qu’ils éclairent le passé, incitent à réfléchir sur le monde actuel. Neil, narrateur solitaire et dépositaire de la bibliothèque et des archives de sa professeure adulée, après la mort de cette dernière, rappelle quant à lui les personnages masculins aux prises avec leurs souvenirs douloureux dans les romans Une fille, qui danse (2011) et La Seule Histoire (2018).

Portrait d’une intellectuelle

Si le quatrième roman de Barnes, Le Soleil en face (1986, trad. fr. 1987), suivait la trajectoire d’une femme ordinaire et non lettrée sur près de cent années, Elizabeth Finch esquisse le portrait lacunaire d’une intellectuelle exigeante qui bouscule ses étudiants en les encourageant à penser par eux-mêmes. Elle les invite à se pencher sur l’époque antérieure à l’hégémonie chrétienne et à s’intéresser au martyre de sainte Ursule, aux écrits d’Épictète ou encore aux méfaits d’une culture unique. Derrière cette héroïne de fiction « gracieuse et posée » se dessine l’ombre de la romancière et écrivaine d’art Anita Brookner (1928-2016), avec qui Barnes noua une amitié fidèle et dont certaines images fugaces émaillent le roman. Comme pour Brookner, étudiants et lecteurs curieux en sauront toutefois fort peu sur la vie intime de cette Elizabeth Finch qu’ils surnomment E.F., adepte de remarques énigmatiques et d’aphorismes obscurs, stoïque qui fuit tout apitoiement sur soi. Le narrateur, dont la propre histoire n’est dépeinte que par légères touches, doit se contenter de détails vestimentaires et se perdre en conjectures sur la vie personnelle d’E.F. ou la signification d’un geste mystérieux observé par son frère dans un parc. L’impossibilité de cerner l’inaccessible professeure rappelle les réflexions de Barnes sur les difficultés à rendre compte du passé individuel et collectif, et sur la tâche ardue des biographes qui doivent « reconstituer une vie, une vie bien vivante, une vie radieuse, une vie cohérente, avec tant d’indices circonstanciels, contradictoires ou manquants ».

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Écrit par

  • : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon

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