ELIZABETH FINCH (J. Barnes) Fiche de lecture
Variations autour de Julien l’Apostat
D’abord cryptiques, les carnets d’Elizabeth Finch mettent le narrateur désorienté sur la piste de Julien l’Apostat, à qui le poète romantique Algernon C. Swinburne attribue ces mots au moment de mourir dans le désert persan : « Tu as vaincu, ô pâle Galiléen. » L’empereur reconnaissait ainsi à Jésus-Christ et au christianisme leur victoire sur le paganisme, l’hellénisme et autres religions de l’Empire romain. Elizabeth Finch n’est pas le premier ouvrage où Barnes, qui se définit comme agnostique, aborde la religion. Le récit chrétien de légitimation était soumis à un traitement satirique dans Une histoire du monde en 10 chapitres ½ (1989) et donnait lieu à des questionnements existentiels dans Rien à craindre. Dans Elizabeth Finch, Neil honore la mémoire de sa professeure en retraçant le destin de l’empereur, qualifié de « fanatique tolérant » par Anatole France, et en rappelle la réputation posthume, citant Montaigne, Milton, Montesquieu, Voltaire ou encore Ibsen. Loin de proposer un tableau conventionnel et un récit cohérent, il opte (à l’image de Barnes dans Le Perroquet de Flaubert et L’Homme en rouge) pour des chemins de traverse : il s’attarde sur certains épisodes accessoires et, transcrivant des notes éparses des carnets d’E.F., se demande si l’on ne pourrait pas « rendre aussi bien compte d’une personnalité avec une simple liste de faits intrigants mais révélateurs ». Il imagine en outre une histoire alternative où l’austère Julien n’aurait pas succombé en Perse, mais aurait régné trente années de plus et serait parvenu à enrayer l’ascension du christianisme et à rétablir le polythéisme. Toute l’histoire du monde en aurait été réécrite.
Elizabeth Finch envisage à son tour un autre destin pour son pays si les Britanniques s’étaient « mêlés plus librement aux autres » : « L’histoire britannique aurait pu devenir celle d’une nation qui apprend de l’altérité, au lieu de l’ignorer délibérément et de la réprimer. » Sans imposer aucune certitude, le roman interroge, interpelle et invite à sonder le passé pour mieux reconsidérer le présent.
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Écrit par
- Vanessa GUIGNERY : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon
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