ELLORĀ
Les grottes brahmaniques et jaïnas, le Kailāsa
Le groupe brahmanique – seize grottes – témoigne d'une puissante vitalité et de qualités esthétiques indéniables. Les salles sont le plus souvent rectangulaires et abritent un sanctuaire sur lequel veillent des gardiens (dvārapāla) et les déesses fluviales Gaṅgā et Yamunā. Aux murs alternent des parties nues et des panneaux sculptés illustrant les caractères des divinités majeures, Çiva et Viṣṇu.
Les cavernes 14 (Rāvana-kā-Khai) et 15 (Das Avatāra), sensiblement contemporaines (qui furent réalisées au cours du viiie siècle), renferment les compositions les plus notables. La dernière présente notamment une série de hauts- reliefs qui couvrent deux étages ; inspirés par les avatāra (incarnations, ou mieux, « descentes » en ce monde) de Viṣṇu et les légendes çivaïtes, ils prennent dans la pénombre une intensité étonnante. Avec une admirable maîtrise, les tailleurs de pierre ont traduit, à l'aide d'un jeu de diagonales et de rythmes opposés, le dynamisme des personnages mis en scène. À cet égard, le combat que Viṣṇu sous la forme de l'homme-lion (Narasimha) livre à un roi impie et la danse cosmique de Çiva comptent parmi les réussites les plus heureuses de l'art indien.
Le monument le plus grandiose d'Ellorā est sans conteste le temple du Kailāsa sculpté en un bloc unique, « découpé » dans la falaise et séparé d'elle par une « cour » (grotte 16). Il est l'œuvre du roi Kṛṣṇa Ier (757-783) de la dynastie Rāṣṭrakūta. C'est une sorte de résumé symbolique de l'univers, dominé par Çiva résidant au mont Kailāsa. L'énorme socle, qui semble reposer sur des protomés d'éléphants, le sanctuaire à toiture pyramidale et le liṅga (le phallus, symbole de Çiva), enveloppé d'ombre dans l'intimité de la cella, donnent une image du monde visible et invisible familière à tout hindou.
Cette œuvre surprenante, d'une hauteur de 33 m, relève plus de la sculpture que de l'architecture. On y voit portée à ses limites extrêmes la technique de « ronde-bosse monumentale » mise au point un siècle plus tôt par les réalisateurs des petits temples monolithes de Mahābalipuram (région de Madras), joyaux du style pallava. L'influence de ce dernier, véhiculée de l'est à l'ouest du Dekkan à la suite des guerres que se livrèrent les rois Chālukya et Pallava, est d'ailleurs perceptible dans la répartition des différentes parties du temple par rapport à la cella aussi bien que dans la forme et la disposition des éléments architectoniques sur les toitures ; un style local, issu de la tradition gupta, prédomine dans les reliefs mythologiques – le bain de la déesse Lakṣmī, l'ébranlement du Kailāsa par le géant Rāvaṇa ou bien des scènes du Rāmāyana – ou simplement ornementaux.
Cinq cavernes constituent le groupe jaïna. Leur aménagement fut entrepris après 750, à en juger par la lourdeur de leurs piliers.
Le traitement des piliers est particulièrement intéressant à Ellorā. Hypertrophiés par la prolifération de thèmes décoratifs (chapiteaux bulbeux côtelés, à vase jaillissant, à consoles supportant des personnages, etc.), véritables monstres architectoniques, ils acquièrent cependant une autonomie monumentale qui n'est pas sans beauté. Des vestiges de fresques, au Kailāsa et à la grotte 33 (Indrasabha), ont un intérêt indéniable puisqu'ils permettent de relier à la peinture murale classique (Ajantā, de la fin du ve siècle au début du viie ?) les miniatures sur manuscrits de l'école de Gujarāt (connues seulement après le xiie siècle).
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Écrit par
- Rita RÉGNIER : chargée de recherche au CNRS, chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
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