KELLY ELLSWORTH (1923-2015)
L'œuvre d'Ellsworth Kelly occupe une place de choix dans l'histoire de l'art abstrait de la seconde moitié du xxe siècle. Un art abstrait, aux couleurs épurées et aux lignes tranchantes qui ne saurait plus se reconnaître dans les débordements de l'action painting. Mais aussi abstraite soit-elle, son œuvre n'en demeure pas moins tributaire d'une logique d'observation et de transcription de la « réalité » que l'artiste américain ne cesse d'expérimenter et de renégocier à travers une production picturale, dont il a posé les bases lors d'un long séjour parisien (1948-1954). Les liens entre la figure et la forme, entre la ligne et la couleur et, corollairement, entre l'objet et son environnement architectural demeurent au cœur d'une démarche en perpétuel renouvellement qui n'a pas manqué de s'ouvrir à la sculpture. Sans appartenir à aucune école en particulier, l'abstraction très personnelle de Kelly aura une influence importante sur les différents courants d'art abstrait américains d'après guerre, notamment sur l'art minimal et le hard edge painting.
Les années d'apprentissage et d'expérimentation
Ellsworth Kelly est né le 31 mai 1923 à Newburgh, dans l'État de New York. Après une scolarité effectuée à Oradell et Englewood dans le New Jersey, il entame en 1941 des études en arts appliqués au Pratt Institute (Brooklyn), qu'il poursuit, après avoir été enrôlé dans l'armée entre 1943 et 1945, à la Museum of Fine Arts Schoolde Boston. Ces années de formation, enrichies par des visites de musées d'art moderne (notamment le MoMA et le musée Guggenheim à New York), se prolongent par un long séjour parisien (1948-1954). Celui-ci est déterminant, à plus d'un titre, dans la mesure où Kelly y pose les bases de sa création à venir tout en circonscrivant un champ de références qu'il nourrit de rencontres décisives. C'est à l'occasion de ce séjour que l'œuvre de Kelly se radicalise. À travers la mise en place d'un processus d'épuration de la forme et de la palette chromatique, il conçoit des œuvres qui se situent aux frontières de l'abstraction. La série de représentations végétales Plants, de 1949, témoigne de cette économie de moyens. Le lien, fût-il ténu, tissé par ces œuvres avec la « réalité » n'en demeure pas moins déjà présent. Il en est de même du premier chef-d'œuvre parisien réalisé par Kelly à partir des fenêtres du musée d'Art moderne. Seul le titre, Window, Museum of Modern Art, Paris (1949, collection privée), permet effectivement de plier cette construction « préminimale » et symétrique à une logique de représentation. Le séjour en France de Kelly est en conséquence synonyme d'une purification graduelle de ses syntaxes et vocabulaires picturaux, cette mutation étant à la fois tributaire de ses révélations esthétiques – les travaux de Arp, Bonnard, Brancusi, Braque, Delaunay, Léger, Matisse et Picasso présentés au musée d'Art moderne –, et des dialogues engagés avec ses confrères mais aussi avec des critiques, des marchands et des collectionneurs. Les plasticiens Ralph Coburn et Jack Youngerman, le compositeur John Cage, le chorégraphe Merce Cunningham, la collectionneuse Alice Toklas, le critique Michel Seuphor, les galeristes Denise René et Louis Clayeux (galerie Maeght) font partie des fréquentations de Kelly.
La galerie Maeght expose régulièrement les tableaux de l'artiste américain. À travers elle, on peut ainsi suivre la lente et pourtant inéluctable « réduction » vers une abstraction que l'on se gardera bien, compte tenu de sa subordination à une optique de transcription, de qualifier de « totale ». Le va-et-vient entre formes reconnaissables et configurations abstraites qui se manifeste dans les œuvres conçues[...]
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Écrit par
- Erik VERHAGEN : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions
Classification
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