KELLY ELLSWORTH (1923-2015)
New York et la reconnaissance américaine
Las du peu d'intérêt suscité par ses œuvres lors de leurs présentations parisiennes, Ellsworth Kelly décide en 1954 de retourner à New York. En dépit de nombreux encouragements, notamment de Georges Braque, seule une peinture, Antibes, avait été acquise par Henri Seyrig (père de l'actrice Delphine Seyrig, qui fut l'épouse de Jack Youngerman) lors de son séjour parisien. À New York, il fait la connaissance de Robert Rauschenberg et de Ad Reinhardt et trouve en la personne d'Alexander Calder un parrain qui allait promouvoir son travail auprès d'Alfred Barr et de James Johnson Sweeney, respectivement responsables du MoMA et du musée Guggenheim. La galeriste Betty Parsons présente ses travaux dès 1956. L'année suivante, l'artiste participe à l'exposition Young America 1957 au Whitney Museum de New York, qui est la première institution à acquérir l'une de ses œuvres. Son exposition personnelle à la galerie Maeght, en 1958, marque son retour triomphal sur la scène parisienne. Enfin, en 1959, Kelly présente ses travaux au MoMA dans le cadre de l'exposition collective SixteenAmericans, devenant ainsi l'un des chefs de file d'une nouvelle génération d'artistes qui cherche à se détacher du modèle expressionniste abstrait. Son ascension et son autorité ne sont dès lors plus à démontrer. Prix et expositions, tant personnelles que collectives, se succèdent aux États-Unis, en Europe et au Japon et couronnent sa pratique picturale mais aussi sculpturale, commencée depuis 1956-1957. Kelly intègre la Sidney Janis Gallery de New York en 1965, à laquelle il reste fidèle jusqu'en 1971. En 1966, il expose au pavillon américain de la Biennale de Venise en compagnie d'Helen Frankenthaler, Roy Lichtenstein et Jules Olitsky.
Les travaux conçus à la suite de son séjour parisien reflètent des interrogations semblables à celles amorcées en France, pays où il retourne régulièrement. Les rapports entre la figure et le fond, de même que ceux engageant l'objet tableau à son enveloppe architecturale, sans oublier les différentes procédures visant à retranscrire des motifs observés à des fins picturales et graphiques, demeurent au cœur de sa démarche. Le recours à des panneaux monochromes ne trahit pas pour autant une perspective téléologique. Contrairement à Rodtchenko, qui voyait dans sa série de 1921 l'incarnation d'un dernier tableau, Kelly cherche au contraire à développer des variations infinies à partir de données chromatiques et formelles dont il semble souligner le caractère extensible. Son approche chromatique se distingue, à ce titre, des trois figures emblématiques de la première génération de l'École de New York que sont Rothko, Newman et Reinhardt. À la différence de ces derniers, Kelly semble se détacher de toute expérience mystique, symbolique, voire nihiliste, que ces peintres avaient su traduire par le biais de plans chromatiques stratifiés ou juxtaposés. Certes, il arrive à Kelly de réaliser des œuvres comportant deux ou trois couleurs, et rarement plus, à l'image de Blue Green Yellow Orange Red (1966, Guggenheim Museum, New York), mais celles-ci sont toujours différenciées, jouissant d'une relative autonomie que la facture inexpressive de l'artiste vient accentuer. Seule compte à ses yeux l'interrelation entre les panneaux et l'espace environnant. D'où le recours fréquent à des châssis qui transgressent l'orthogonalité imposée par les usages sociaux de l'objet tableau. Dans la même optique, il emploie aussi des constructions « illusionnistes » qui ambitionnent justement d'ouvrir la deuxième dimension sur la troisième. La forme courbée expérimentée dès les années 1950 va, à ce titre, servir de véritable signature à l'artiste qui l'utilise abondamment dans les années 1970 dans ses œuvres de la série des [...]
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Écrit par
- Erik VERHAGEN : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions
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