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ÉLOGE DE LA LUMIÈRE (G. Macchia)

Giovanni Macchia est un de ces professeurs italiens, esthètes, mélomanes, érudits, cosmopolites, de la famille des Mario Praz – type d'esprits peu familiers au public français, qui les découvre toujours avec retard pour les reléguer ensuite au second rang : inclassables, touche-à-tout, ennemis des formules et des théories. Praz avait orienté sa curiosité vers l'Angleterre et la Russie, Macchia s'intéresse au domaine français, mais leurs démarches intellectuelles sont assez proches. On a peu d'équivalent, en France, de ce genre de pensée libre, nourrie d'abord de littérature, mais qui ne s'interdit aucune incursion dans les domaines artistiques, qui ose, avec une érudition qui met à l'abri de l'accusation de dilettantisme, rapprocher Saint-Amant et le peintre Salvator Rosa ou, plus audacieusement, les jardins imaginaires de l'Hypnerotomachia Poliphili de Francesco Colonna, le grand roman de la Renaissance, de L'Année dernière à Marienbad, le film écrit par Alain Robbe-Grillet réalisé en 1961. Ses rapprochements, fondés sur une profonde sympathie avec les œuvres, sonnent toujours juste et ne doivent rien au désir d'étonner. Ils vont bien au-delà du divertissement raffiné.

Après avoir enseigné à l'École normale supérieure de Pise, ce beau palais de la place des Chevaliers dont Vasari a dessiné la façade, puis à l'université de Rome, le professeur Macchia s'est consacré à ses activités de critique et d'essayiste. Il s'est intéressé tour à tour aux moralistes classiques (il fut le premier à souligner l'intérêt du Bréviaire des politiques de Mazarin), à l'époque baroque et à son théâtre, à Baudelaire, à Molière à qui il consacra un livre, Le Silence de Molière (Desjonquères, 1990). Cette largeur de vue permet à Macchia de voler légèrement d'un sujet à l'autre. En France, on a enfin pu lire de lui deux ouvrages fondamentaux : un essai sur Proust, L'Ange de la nuit (Gallimard, 1993), et un volume d'articles, Le Théâtre de la dissimulation (Le Promeneur, 1993), où il analyse notamment le mythe de Don Juan.

Publié en 1990, Éloge de la lumière. Rencontres entre les arts (trad. S. Aghion, Le Promeneur, 1996) est pour l'essentiel consacré aux arts, mais Macchia, bien évidemment, compte la littérature en leur nombre. Se succèdent ainsi quelques superbes dialogues des morts : Montesquieu et Saint-Simon, Diderot et Watteau, Rousseau et Liotard, Baudelaire et Nadar, Fromentin et Proust, De Chirico et Cocteau, Gide et Chopin. Le ton est celui de la conversation, mais que l'on y prenne garde : beaucoup de choses se disent sous le masque plaisant du causeur.

Dilettante ? Certes, quand il ne résiste pas au plaisir de citer, avec un clin d'œil, le livre de son éditeur français Patrick Mauriès, Quelques cafés italiens (Quai Voltaire, 1987), ce qui ravira les fidèles du café Greco de Rome ou du Pedrocchi de Padoue, cité dans La Chartreuse de Parme. Mais derrière les malices de Macchia, toujours, son érudition convainc. Dans ses pages consacrées à Béroalde de Verville, on croit retrouver le Larbaud de Ce vice impuni, la lecture, qui excellait dans cet attachement aux minores ou aux aspects oubliés d'auteurs par ailleurs consacrés. L'histoire de l'art pas plus que celle de la littérature n'est composée uniquement de chefs-d'œuvre – d'autant qu'un aperçu original sur de mauvais vers de Houdar de La Motte peut, d'un coup, mieux faire comprendre dans son temps L'Embarquement pour Cythère de Watteau. Qui d'autre pourrait, avec cette fougue, faire redécouvrir, et aimer parfois, la poésie de Claude d'Esternod ou les nouvelles en vers de l'abbé de Grécourt ? Macchia, bibliophile, décrit même avec rigueur les exemplaires dans lesquels il a lu ces raretés qui, dans sa bibliothèque, le relient[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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