PRESLEY ELVIS (1935-1977)
Misère du génie
L'histoire, cependant, évolue rapidement : le son du rock'n'roll a considérablement vieilli sous les coups de la pop anglaise des Beatles ou des Rolling Stones, et les crooners célèbres comme Bing Crosby, Frank Sinatra ou Johnnie Ray appartiennent déjà à un autre temps. La jeunesse occidentale se mobilise contre la guerre du Vietnam, le sexe et les drogues ont imposé au marché culturel une nouvelle donne. C'est alors qu'Elvis réussit un extraordinaire « come back », à la télévision en 1968, dans les studios de Memphis, et au cours des concerts qui reprennent à cette occasion. Durant les étés de 1969 et de 1970, il donne un très grand nombre de shows à l'International Hotel de Las Vegas, accoutré de ses combinaisons blanches qui resteront célèbres dans l'imagerie du rock'n'roll. Il est en pleine possession de son magnétisme animal, de sa voix et de sa gestuelle légendaires (il suffit pour s'en convaincre de voir son interprétation de Polk Salad Annie dans le film que Denis Sanders réalise à partir de ces concerts privés, That's the Way It Is, 1970).
Cette suractivité et la reconnaissance retrouvée (un milliard de téléspectateurs pour la retransmission d'un concert à Honolulu le 14 janvier 1973) se traduisent pendant trois ou quatre ans par un nombre fabuleux de concerts, et plusieurs disques de gospel ou riches en morceaux lents. Mais le déclin physique et moral a déjà commencé. Les bouffissures de l'alcool et des drogues dures, les kilos de sucreries et de sandwiches au beurre de cacahuète sont moins dégradants peut-être que la poignée de main au président Richard Nixon qui l'engage, à sa demande, comme agent de la brigade des stupéfiants... Divorce, maladies pulmonaire et intestinale, concerts annulés, partouzes avec des mineures et sordides règlements de comptes avec les membres de ce qui depuis longtemps constitue sa mafia. Les six dernières semaines de sa vie, Elvis les passe claquemuré à Graceland, dans la désespérance et la violence paranoïaque. Il meurt le 16 août 1977, à quarante-deux ans. On trouvera dans son corps autopsié un cocktail invraisemblable de drogues prescrites par un médecin criminel. Aujourd'hui encore, Elvis est l'objet d'un culte nécrophilique puissant : visiteurs de Graceland par dizaines de milliers chaque année, innombrables rééditions de ses albums, films, ventes aux enchères de ses effets personnels, biographies innombrables... L'acteur et metteur en scène Martin Fontaine montera en 1995 au Québec la comédie musicale (reprise à Paris en 2003) Elvis Story.
Elvis Presley n'a pas créé le rock'n'roll, il en fut l'accoucheur mythique. Légende de la musique populaire américaine, sex symbol qui demeure aussi le plus gros vendeur de disques de tous les temps (entre un et deux milliards), le King étonne toujours par sa voix de baryton aux inflexions plaintives, ses timbres chauds venus du bel canto et du gospel, et qui pourtant gardent quelque chose de la rusticité de la musique country. « Elvis the pelvis » (le bassin) est le symbole le plus visible d'une révolution dans l'art populaire au xxe siècle. Il fut une icône à la tête vide sans doute. Mais il toucha au génie dans la quête maladive de l'amour et de Dieu, la grâce d'une voix alliée à de beaux yeux tristes et des sourires figés, la violence esthétisée du sexe et du cœur qui disent, dans la vanité d'un paraître baroque, l'ennui et l'absence à soi-même des idoles modernes.
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
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Média
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