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SWEDENBORG EMANUEL (1688-1772)

De l'amour-propre à l'amour de Dieu

Il importe au premier chef de ne pas faire de Swedenborg un mystique abscons et monomane. Comme sa compatriote sainte Brigitte de Vadstena, il n'a jamais pris la paille des mots pour le grain des choses. Natures scandinaves que l'on calomnie gravement en les disant déséquilibrées, utopiques ou échevelées ; natures au contraire étroitement accordées au rythme des saisons et aux beautés des choses, en tout cas, peu portées à l'hyperbole ou au galimatias : si elles sont tentées de s'évader de l'orbe trop bien inscrit de ce monde, c'est à leur corps défendant et sans jamais le perdre de vue tout à fait. Car ce qu'on peut déduire de la fréquentation des écrits de Swedenborg, c'est que ce fut un esprit supérieur passionné de sciences mathématiques, doublé d'un bon vivant, de commerce agréable, qui connut en effet une crise capitale – que décrit le Livre des rêves – et au terme de laquelle il applique à la religion chrétienne une réflexion de type scientifique qu'avaient formée des décennies d'observations expérimentales et d'intenses méditations.

Bien qu'il s'agisse de haute mystique et de visions obscures pour celui-là même qui en est hanté, l'homme de science n'abdique jamais et sa première réaction est d'essayer d'organiser, de systématiser, d'interpréter rationnellement. On est là aux antipodes de la mystagogie et de l'oniromancie à bon compte : il y aurait même quelque chose d'émouvant dans cette extraordinaire application à apprivoiser le surnaturel. Voici un homme qui se refuse d'emblée au mystère sans examen, qui n'admet l'irruption du supra-humain que contraint et forcé, qui ne désespère pas d'élucider un jour le plus obscur. Sans doute a-t-on renoncé aujourd'hui à ce cartésianisme impénitent. Il n'en demeure pas moins que cette volonté est admirable, la saurait-on vaine, et qu'elle fait de Swedenborg un parfait enfant de son temps. D'autant qu'il y a comme une saine réaction thomiste au terme de son entreprise : il sait fort bien que, si l'entendement se doit d'aller le plus loin possible dans l'interprétation des choses sacrées, il lui convient de savoir de science sûre que ce propos ne peut outrepasser certaine frontière inévitable et qu'au-delà commence à proprement parler le domaine de la foi. Ce n'est pas un philistin ni un Diafoirus. La grandeur de l'homme est de tenter de comprendre. Et cela suffit.

Au-delà, il y a le mystique visionnaire qui connut ces moments qu'il dit lui-même de « ravissement » : « L'homme est placé dans un état intermédiaire entre veille et sommeil. Pendant ce temps, il ne sait qu'une chose : c'est qu'il est bien éveillé. Dans cet état, j'ai clairement vu et entendu des esprits et des anges ; même, je les ai touchés, chose étrange, mais comme si mon corps n'y avait pas vraiment eu de part. En ce qui concerne le second point, à savoir le ravissement du corps loin de l'esprit et en un autre lieu, j'ai expérimenté cela à deux ou trois reprises. J'ai vu ce que c'est et comment cela se produit ; Je n'en donnerai qu'un exemple : j'allais par les rues d'une ville et par les champs, et, en même temps, je m'entretenais avec les esprits ; tout ce que je savais, c'est que j'étais éveillé et je voyais toutes choses autour de moi comme à l'ordinaire ; mais, après avoir marché ainsi pendant plusieurs heures, je m'aperçus soudain – et mes yeux de chair le virent aussi – que j'étais en un lieu tout différent. »

L'intéressant, semble-t-il, c'est qu'ici rien n'est gratuit ou aventureux. On n'a aucune peine à vérifier que cette œuvre est celle d'un homme passionné de religion[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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