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ÉMAUX

L'émaillerie romane sur cuivre champlevé et le premier art gothique

Retour des envoyés de Canaan, N. von Verdun, retable de Verdun - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

Retour des envoyés de Canaan, N. von Verdun, retable de Verdun

Au xiie siècle en Occident, d'une part en Aquitaine et en Espagne du Nord, d'autre part dans la région rhéno-mosane, s'instaure un art différent qui incorpore à la technique du cuivre champlevé les diverses données de l'art roman en transposant des modèles byzantins, peut-être transmis par des essais faits en Italie du Nord (autel portatif de sainte Foy à Conques). Cet art emprunte aussi des motifs à l'Espagne naguère mauresque où, à la faveur des mouvements de reconquête, s'établissent des ateliers, liés d'abord à celui de Conques. Un style puissant et indépendant s'affirme à Silos vers 1170 (« urna » de Santo Domingo de Silos, à Burgos). L'effort requis par le champlevage, véritable sculpture en creux, s'inscrit avec une vigueur monumentale dans les grandes figures isolées sous des portiques. On ne connaît pas les sites de formation et d'activité de ces maîtres ; mais leur art ressortit à une commune culture occitanienne, suscitée et propagée dans le domaine dynastique des rois Plantagenêt, le duché d'Aquitaine élargi de la Normandie à la Castille par la Navarre ; ils ont laissé des œuvres majeures telles que l'effigie funéraire de Geoffroy Plantagenêt, comte d'Anjou, père d'Henri II (musée du Mans, vers 1165) et le frontal de San Miguel de Excelsis datable de 1180.

Fortement établis à Limoges dès 1170, ces artistes sont en liaison avec l'Espagne, mais ils développent une iconographie résolument locale (châsses de sainte Valérie à Londres et Saint-Pétersbourg). Avant 1190, ils élaborent un grand autel avec son ciborium, puis sept grandes châsses à Grandmont, maison de religieux réformés au nord de Limoges, où Henri II désire établir le panthéon de sa dynastie (châsse d'Ambazac). Émaillées dans des gammes de couleurs riches et vibrantes, les figures et les récits historiés se détachent sur des fonds d'or souvent animés d'une « arabesque » empruntée aux orfèvres hispano-mauresques et aux nielleurs byzantins ; les ornements transposent dans l'émail les orbes et la faune des soieries orientales.

Vers 1190, une vague de byzantinisme se reflète dans un nouveau style détendu, classicisant. Avant-coureur méridional de l'art gothique, il s'affirme par l'harmonie des figures d'or, ciselées sur un fond d'azur profond, constellé de rosettes ou parcouru de rinceaux en gammes de tons nuancés. G.  Alpais attache son nom à ce style. Avant la fin du xiie siècle, les officines limousines fortement organisées exportent par dizaines reliures, croix et châsses jusqu'aux confins de la chrétienté, en Sicile, à Novgorod, à Trondheim.

L'art byzantin joue le même rôle d'initiateur dans les ateliers d'émailleurs septentrionaux. L'esthétique méditerranéenne stimule l'expérience plastique qu'ils avaient d'ailleurs héritée des bronziers carolingiens de Lotharingie ; elle les entraîne même à abandonner les tons unis de la palette orientale pour enrichir leurs gammes de valeurs opacifiées et granulées, fondues en un modèle pictural des volumes ; les parois dorées, espacées, soulignent les seuls profils essentiels. Le mode concret du relief repoussé s'allie au mode abstrait des couleurs pour dépeindre figures isolées, végétations ou diaprures paradisiaques, saintes histoires. On ne peut dater d'œuvre antérieurement aux années 1130-1140 (chef reliquaire du pape Alexandre). Les grands foyers de cet art, ateliers, trésors ou chantiers, sont, dès avant 1150, Huy, Liège, Stavelot, Maestricht en Lotharingie, Cologne, et peut-être Salzbourg en Allemagne, Saint-Denis en France. Les maîtres, Godefroy de Huy, Eilbert et Fredericus de Cologne, et bien d'autres aujourd'hui oubliés, exécutent des autels[...]

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Retour des envoyés de Canaan, N. von Verdun, retable de Verdun - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

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