ÉMERAUDE
La route des émeraudes
À partir de l'étude de plus en plus précise de la structure cristalline des émeraudes, notamment de ses « jardins », de l'attribution d'un mode de formation à chaque pierre, les spécialistes ont pu établir, peu à peu, pour les différentes gemmes une carte d'identité caractéristique de leur provenance. Ainsi, la mesure du rapport des deux principaux isotopes de l'oxygène (16O et 18O) permet d'attribuer un site à chaque cristal. Cette méthode a été appliquée aux soixante-deux gisements d'émeraudes connus, répartis dans dix-neuf pays, permettant l'authentification des pierres précieuses qu'ils recèlent. L'outil utilisé, une sonde ionique, n'est pas nouveau, mais il nécessitait jusqu'à présent un petit prélèvement (de 2 à 5 mg) de l'échantillon analysé : une contrainte peu gênante pour les pierres brutes extraites des mines, mais inacceptable pour les joyaux des musées.
Une nouvelle méthode, fondée sur le même principe, permet désormais de ne prélever qu'une infime quantité (200 millionièmes de milligramme) de minéral. Ainsi, des émeraudes d'antan ont pu dévoiler leur provenance et les historiens en retracer les routes.
Habituellement, on considère que les émeraudes qui arrivaient dans l'Ancien Monde provenaient des mines égyptiennes, exploitées par les pharaons de 3000 à 1500 avant J.-C., ou de celles d'Habachtal (Autriche), découvertes par les Celtes. Parmi les pierres étudiées, l'émeraude dite de Saint Louis, qui ornait le lys central de la couronne des rois de France, provient d'Autriche. De même, deux pierres conservées au Muséum national d'histoire naturelle, étudiées par l'abbé Haüy en 1806, attestent d'une origine autrichienne pour l'une et égyptienne pour l'autre. En revanche, l'émeraude de la boucle d'oreille gallo-romaine, mise au jour en 1997 à Méribel (Ain), provient de façon certaine de la vallée de Swat (Pakistan), une mine que l'on croyait avoir été découverte seulement à la fin des années 1950.
Au xvie siècle, avec la découverte en 1545 par les Espagnols des gisements colombiens de Chivor, une nouvelle route commerciale d'émeraudes de grande qualité s'établit vers l'Europe. Le fait est confirmé par l'analyse de l'émeraude brute (originaire de la mine de Muzo) découverte dans l'épave d'un galion espagnol, le Nuestra-Señora-de-Atocha, qui a sombré au large de la Floride en 1662. Ce que l'on ignorait, c'est le prolongement de ce commerce jusqu'en Orient. On pensait généralement que les émeraudes des marchands indiens du xvie siècle provenaient exclusivement des fameuses « vieilles mines » du Sud-Est asiatique. Erreur : parmi les quatre pierres soumises à la sonde ionique du trésor de Nizam d'Hyderabab (Inde), trois sont d'origine colombienne et la quatrième provient d'un gisement afghan « découvert », croyait-on, et exploité au cours des années 1970.
Dans un effort commun, chimistes, minéralogistes et historiens ont ainsi confirmé et surtout précisé la route des émeraudes qui font aujourd'hui la fierté des musées. Notamment, on a à présent la certitude que les gemmes de l'Antiquité ont en partie emprunté la route de la soie qui traversait les vallées afghanes et pakistanaises. Ensuite, les émeraudes colombiennes, plus belles, se sont imposées non seulement en Europe, mais aussi en Inde, et peut-être jusqu'en Extrême-Orient.
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Écrit par
- Yves GAUTIER
: docteur en sciences de la Terre, concepteur de la collection
La Science au présent à la demande et sous la direction d'Encyclopædia Universalis, rédacteur en chef de 1997 à 2015
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