BENVENISTE ÉMILE (1902-1976)
Vers le structuralisme
Conformément à la tradition saussurienne, la grammaire comparée se relie ainsi constamment à des hypothèses et des conclusions de portée générale. C'est par là d'abord que Benveniste prend sa place dans la révolution scientifique qu'a connue la linguistique au xxe siècle et qui a reçu le nom de « structuralisme ». Du reste, le structuralisme européen consistait essentiellement à expliciter avec rigueur et à étendre à la linguistique synchronique les principes fondamentaux mis en œuvre, dans la grammaire comparée, par Saussure et Meillet. Benveniste partait donc des mêmes prémisses que les membres du Cercle de Prague et notamment Jakobson, avec qui il était lié d'amitié. Pendant longtemps, cependant, occupé presque exclusivement de reconstruction diachronique, il ne se réclama pas ouvertement de l'« école » structuraliste. Mais, peu à peu, son intérêt pour la linguistique synchronique se précisa ; parallèlement, il se livra à une réflexion exigeante sur les concepts fondamentaux de la linguistique théorique. Cela le conduisit, dans ses derniers travaux, à revendiquer son appartenance au mouvement structuraliste et à soutenir les efforts de ceux qui, à la suite de Saussure, entendaient construire une sémiologie générale, valant pour des objets non linguistiques.
Les contributions théoriques d'Émile Benveniste portent sur deux points principaux et connexes : la notion de signe et celle de système signifiant. Saussure avait conçu le signe comme l'association arbitraire d'un signifiant et d'un signifié ; dès 1939, Benveniste soutenait qu'une analyse plus précise devait conduire à modifier cette définition : le signe, de l'aveu même de Saussure, n'a aucune subsistance en dehors du système où il fonctionne ; c'est un être purement négatif, oppositif et relatif. Dans cette mesure même, l'association entre signifiant et signifié doit être considérée à l'intérieur du système. Or, dans ce système, l'association, une fois constituée, est invariable : non pas arbitraire donc, mais nécessaire. L'arbitraire du signe est une illusion née de la croyance qu'on peut autonomiser le signe par rapport aux relations qui, seules, le déterminent à l'existence. Ainsi se trouvait soulevée par un article qui fit époque (« Nature du signe linguistique », ibid.) une question qui fut largement débattue depuis : quelle est la portée exacte de la notion de signe ?
Dans la mesure où Benveniste, plus strictement encore que Saussure, articulait le signe et le système, il devait, afin de donner à ses conceptions la précision nécessaire, exposer les principes constitutifs de tout système de signes possible. C'est ce qu'il fait beaucoup plus tard, dans un article de 1962 (« Les Niveaux de l'analyse linguistique », ibid.). Tout d'abord, il y formule les caractères généraux d'un système linguistique : 1. Toute langue peut être analysée en unités qui sont de types divers : traits, phonèmes, mots, phrases. 2. Chaque unité d'un type a s'analyse en unités d'un autre type b et se trouve incluse dans une unité de type c. On peut donc hiérarchiser les types en niveaux de telle façon que l'unité de niveau n soit analysable en unités de niveaux n−1 et analyse une unité de niveau n+1. 3. Il existe un niveau inférieur, constitué d'unités inanalysables : ce sont les traits différentiels des phonèmes ; il existe un niveau supérieur pour lequel on ne peut définir d'unités englobantes : c'est le niveau de la phrase, au-delà duquel l'analyse linguistique doit laisser la place à un autre type de théorie. 4. Les opérations de la linguistique se bornent à établir ce que sont les unités et les niveaux dans une langue.
Cette présentation expose en fait l'axiomatique de[...]
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Écrit par
- Jean-Claude MILNER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII (département de recherches linguistiques)
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