DURKHEIM ÉMILE (1858-1917)
Les durkheimiens
Ce qui distingue Émile Durkheim des autres « pères fondateurs » de la sociologie c'est qu'il fut à proprement parler un chef d'école. Son projet impliquait, en effet, que la fondation de cette nouvelle science fût le fruit d'un travail collectif où chacun des membres de l'équipe se spécialiserait dans une branche du savoir à constituer et ferait valoir le point de vue sociologique dans les disciplines ou les domaines d'étude existant déjà. Ce programme fut en bonne partie réalisé. Durkheim sut s'attacher une équipe de brillants collaborateurs parmi lesquels Célestin Bouglé (1870-1940), Hubert Bourgin (1874-1955), Georges Davy (1883-1976), Paul Fauconnet (1874-1938), Louis Gernet (1882-1964), Maurice Halbwachs (1877-1945), René Hertz (1881-1915), Henri Hubert (1872-1927), Paul Huvelin (1873-1924), Paul Lapie (1869-1927), Marcel Mauss (1872-1950), Gaston Richard (1860-1945), François Simiand (1873-1935). Un tel rassemblement de talents réunis autour d'un même but – fonder la sociologie – fut un événement unique dans l'histoire de la discipline.
« L'Année sociologique »
La revue L'Année sociologique fut non seulement l'organe du groupe durkheimien mais l'instrument même de sa constitution. Les douze volumes de sa première série (1898-1913), publiés du vivant de Durkheim, sont autant de pierres fondatrices de ce qui fut assez vite appelé « l'école française de sociologie ». L'idée de créer cette revue naquit au printemps de 1896 lors d'entretiens entre Durkheim et Bouglé, jeune agrégé de philosophie qui venait de faire paraître un livre sur Les Sciences sociales en Allemagne et cherchait à se spécialiser dans cette discipline nouvelle. Le projet ne prit vraiment corps qu'au début de 1897 et le premier volume fut publié un an plus tard. Il faut dire que la formule des Années, revue présentant annuellement les principales productions d'un secteur du savoir, était alors très en vogue. L'Année psychologique (1895), notamment, dirigée par Binet et publiée par son laboratoire de psychologie physiologique a pu servir de modèle à L'Année sociologique.
Cependant, en 1895 encore, Durkheim soutenait que la littérature véritablement sociologique n'était pas assez abondante pour alimenter une revue périodique : il visait, il est vrai, la Revue internationale de sociologie, créée dès 1893 par René Worms, et jugeait que cette entreprise était prématurée. En fait, cette déclaration n'était pas contradictoire avec le projet de L'Année sociologique. L'originalité de cette dernière venait précisément de la manière dont elle résolvait ce paradoxe : comment vouloir rendre compte de la production d'une discipline qui reste complètement à constituer ? L'objectif, d'ailleurs déclaré, de L'Année sociologique était différent. Il s'agissait de présenter et d'analyser les recherches qui se faisaient dans les « sciences spéciales » – histoire et ethnographie des religions, histoire du droit, criminologie, statistique morale, science économique, linguistique, archéologie, géographie humaine, etc. – et de voir si l'on pouvait en extraire des matériaux utilisables par la sociologie. Seule la première section, intitulée « Sociologie générale » avait vocation de rendre compte de la littérature proprement sociologique, c'est-à-dire qui se donnait pour telle, et, pour cette raison même, elle était considérée comme la moins utile. L'Année sociologique avait donc un caractère unique parmi les revues du même genre. Alors qu'elle contribuait à créer une science, à définir son domaine, elle pouvait donner l'illusion d'une science déjà constituée ayant son organisation interne et ses disciplines auxiliaires. On comprend dans cette perspective l'importance accordée au[...]
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Écrit par
- Philippe BESNARD : directeur de recherche au C.N.R.S.
- Raymond BOUDON : membre de l'Académie des sciences morales et politiques, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Média
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