LITTRÉ ÉMILE (1801-1881)
Un « saint laïc »
Les études d'Émile Littré disséminées dans les revues et dont il ne rassemblera qu'une partie en volume vont dès lors occuper ses nuits. Il écrit pour la Revue des Deux Mondes, le Journal des Savants, le Journal des Débats, sans oublier l'Histoire littéraire de la France dont il est l'un des médiévistes remarquables. Il a commencé à collaborer très tôt au journal Le National comme lecteur et traducteur des journaux étrangers. Vite remarqué parmi les collaborateurs, il jouit de l'estime d'Armand Carrel. C'est dans ce journal qu'il contribue à vulgariser la philosophie d'Auguste Comte qu'il découvre en 1842. Lecteur enthousiaste de la philosophie comtienne, il n'en est pas moins un interprète partiel qui, s'il na pas falsifié la pensée du philosophe l'a du moins infléchie selon ses propres attentes. Son positivisme est, peut-on dire, heuristique, méthodique, et va lui servir à canaliser des inquiétudes qu'on peut qualifier de « métaphysiques ». Reste qu'il va bientôt se détacher comme le représentant du positivisme. Dès 1851, la conduite d'Auguste Comte face à Louis-Napoléon Bonaparte contribue en même temps que la répudiation de son épouse Caroline – dont Littré est proche – à ce que le disciple s'écarte du maître. De la philosophie positive (1845) et sa reprise en 1852, Auguste Comte et la philosophie positive (1863), puis en 1867 la création de la Revue de philosophie positive avec Grégoire Wyrouboff vont associer le nom de Littré à cette philosophie.
Depuis 1839, Littré est membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Sa candidature à l'Académie française sera d'abord barrée par la réaction catholique en la personne de Mgr Dupanloup. Il n'entrera sous la coupole qu'en 1871. En 1875, il est reçu au Grand Orient de France. Député (1871) puis sénateur (1875), il est un républicain actif proche de Thiers et peu amène – comme nombre d'hommes de lettres – pour les insurgés de 1871. Au lendemain de la Commune, il cumule l'image du philosophe positiviste et celle d'un darwiniste – qu'il faudrait nuancer –, source de nombreuses caricatures, comme celle d'André Gill dans Les Hommes d'aujourd'hui, où il apparaît sous les trait d'un singe. Mais, tel qu'en lui-même, il est un lexicographe hors pair.
Émile Littré a lancé la refonte du Dictionnaire de médecine de Pierre-Hubert Nysten qu'il conduit avec Charles Robin et qui paraît chez Baillière en 1855. Dès 1846, il signe avec Louis Hachette un contrat pour un Dictionnaire étymologique, première mouture de la future somme. Le travail va s'étendre sur plusieurs années, reposant autant sur l'épouse et la fille de Littré, qui préparent les documents, que sur une longue collecte de données qui occupera de nombreux collaborateurs. Paru en livraisons à partir de février 1863, le Dictionnaire de la langue française ne sera achevé qu'en 1872, et suivi en 1877 d'un supplément. L'ensemble compte 80 000 entrées et reste remarquable non seulement par l'ampleur du corpus embrassé, mais aussi par son recours à des exemples littéraires qui embrassent la littérature jusqu'aux trente premières années du xixe siècle.
La fin d'Émile Littré, pourtant agnostique, sera marquée par une polémique in extremis. Elle tourne autour d'une conversion improbable sur son lit de mort. Figure exigeante de la science du xixe siècle, Émile Littré y occupe une place quasi sacrificielle. Celle d'un homme qui a préféré la science à la vie, offrant à la République, l'ethos, selon la formule de Pasteur, d'un « saint laïc ».
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Écrit par
- Jean-Didier WAGNEUR
: critique littéraire à la
N.R.F. et àLibération
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