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MEYERSON ÉMILE (1859-1933)

D'origine polonaise, Émile Meyerson a reçu une formation de chimiste, d'abord à Heidelberg, comme élève de Bunsen, puis en France, où il s'installe en 1881. Ruiné par l'industrie, il devient rédacteur de l'agence Havas pour la politique étrangère, puis (1891) directeur de la Jewish Colonization Association pour l'Europe et l'Asie Mineure. Parallèlement, il publie quelques études d'histoire des sciences (réunies dans les Essais, 1937) et s'oriente peu à peu vers les « idées directrices » ; ses ouvrages, tardifs et peu nombreux (Identité et réalité, 1908 ; De l'explication dans les sciences, 1921 ; La Déduction relativiste, 1924 ; Du cheminement de la pensée, 1931), portent, par l'ampleur des références et des digressions, la marque d'un esprit encyclopédique.

De même que les objets ne sont que nos « sensations hypostasiées », le réel n'existe qu'en tant qu'il résiste à la raison. Jamais le savant ne peut prétendre épurer tout à fait ses théories d'un élément réaliste — quoique toute sa démarche nie la diversité des sensations en la réduisant par l'explication —, c'est-à-dire la permanence de la cause derrière les effets, de la substance derrière les accidents. Il convient ici de distinguer : une « causalité scientifique », apte à discerner l'identité transformée de l'antécédent au conséquent ; une « causalité théologique », calquée sur le modèle anthropomorphique des changements provoqués par une volonté extérieure ; enfin, le concept hybride de « causalité efficiente ». La science tend à l'identité pure, soit, paradoxalement, à la destruction de son objet et à sa propre négation comme travail : puisque la nature existe, il faut à la raison d'incessants détours, de perpétuels compromis avec l'expérience, pour expliquer ce qui l'arrête. L'analyse que fait Meyerson du principe de Carnot constitue un classique de ces conceptions : la réalité nous oblige à opposer au principe idéal de conservation de l'énergie un principe de dégradation.

Contre le phénoménalisme et le positivisme, Meyerson maintient que le substantialisme est nécessaire au savant, qu'il est utopique et dangereux de concevoir des rapports sans supports ou, selon ses termes (la « légalité » ne pouvant s'assimiler à la « causalité »), une métaphysique des lois. Dans un dernier écrit (Réel et déterminisme dans la physique quantique, 1933), il affirme ainsi, face à l'interprétation dominante, son insatisfaction à ne pouvoir se représenter onde et corpuscule comme réellement identiques, suivi en cela par Louis de Broglie, qui n'a cessé d'espérer en offrir une « image concrète » ou une « synthèse réelle ».

Alexandre Koyré a salué en Meyerson un maître, soucieux de voir dans les théories, vraies ou fausses, les péripéties significatives de l'esprit humain. Gaston Bachelard, qui, au contraire, démarque nettement la science de sa préhistoire, oppose « à la polémique qui s'appuie sur l'irrationalisme insondable du phénomène pour affirmer une réalité » (La Philosophie du non, 1940) un rationalisme qui n'affronte pas le réel mais le transforme, un rationalisme qui valorise l'expérimentation et la réalisation.

— François TRÉMOLIÈRES

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