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EMILIA PÉREZ (J. Audiard)

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Prix du jury au festival de Cannes 2024, Emilia Pérez est le dixième long-métrage réalisé par le cinéaste français Jacques Audiard. Empruntant au thriller, au mélodrame et au musical, le film, tourné en langue espagnole, sur une musique de Clément Ducol et Camille, conte l’histoire d’un narcotrafiquant mexicain qui change de sexe et cherche la rédemption.

Après avoir fait ses premières armes en tant que scénariste, avec son père Michel Audiard (Mortelle Randonnée, Claude Miller, 1983), et sans lui (Poussière d’ange, Édouard Niermans, 1987), Jacques Audiard passe à la réalisation en 1994 avec Regarde les hommes tomber. Dix films en trente ans : cette production rare indique que le cinéaste n’est pas un simple exécutant.

Le goût de l’hybridation

Les films de Jacques Audiard se répartissent entre les œuvres d’inspiration française et les autres. Si la première inspiration amène le cinéaste-scénariste à traiter de moments de l’histoire récente (Un héros très discret, 1996) ou de questions sociétales (Un prophète, 2009 ; Les Olympiades, 2021), dans un cadre souvent naturaliste, la seconde révèle une volonté de se mesurer aux codes du cinéma de genre, souvent américain, soit en proposant un remake d’un « néo-noir », comme De battre, mon cœur s’est arrêté (2005), qui reprend Fingers de James Toback (1978), soit en s’inscrivant dans une forme classique, à l’instar du western, qu’il aborde frontalement dans Les Frères Sisters (2018).

Ces deux inspirations ne sont pas contradictoires : Audiard se plaît même à les hybrider. Ainsi, quand il recourt au film policier, il investit un cadre français de références à des genres américains (Regarde les hommes tomber ; Sur mes lèvres, 2001), ou il reprend des formes génériques américaines précises dans un cadre français : le film de prison, avec Un prophète ; le film social, pour Dheepan (2015). Sa contribution à la série télévisée Le Bureau des légendes (il a réalisé les deux derniers épisodes de la saison 5, en 2020) relève également de ce recours à l’hybridation qui constitue l’un des éléments les plus notables du style de Jacques Audiard.

Après le western classique, pour Les Frères Sisters, et le quasi-documentaire franco-français (Les Olympiades), Emilia Pérez pousse aussi loin que possible la fusion des genres et des influences. À partir d’un scénario qui emprunte au film noir (le chef de cartel qui s’invente une nouvelle vie, le couple d’amants en fuite, la vengeance), Audiard ne se contente pas de la référence attendue aux modèles américains, mais décide de traiter une partie importante de son long-métrage sous forme de comédie musicale.

Ce mélange des genres en entraîne d’autres, les emprunts et pastiches se dévoilant à la manière d’un oignon que l’on pèle. L’ancrage de l’histoire dans la communauté latino suscite la référence au mélo criminel qui, des classiques des réalisateurs mexicains Emilio Fernández et Julio Bracho jusqu’aux plus récents essais d’Arturo Ripstein, est typique des cinématographies mexicaines ou argentines. Du Mexique à la Suisse, le cadre d’Emilia Pérez est entièrement reconstitué en studio. La gageure était évidemment d’éviter le formalisme disparate suggéré par ces références au cinéma pour réaliser au contraire une œuvre qui frappe par son unité et sa cohérence autant que Les Frères Sisters avait pu marquer par sa rigueur.

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Écrit par

  • : historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue Positif

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