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ÉMILIE DU CHÂTELET ET MARIE-ANNE LAVOISIER. SCIENCE ET GENRE AU XVIIIe SIÈCLE (K. Kawashima)

Il existe de nombreuses études sur Madame du Châtelet, dont plusieurs livres d’Elisabeth Badinter depuis 1983. Si l’on excepte Bruno Belhoste en 2011, l’attention des chercheurs a moins été attirée par la vie de Madame Lavoisier, cachée qu’elle semble être derrière celle de son mari. Aucun ouvrage en français n’avait jusqu’ici abordé d’un même regard la vie de ces deux femmes remarquables ni évoqué leur rôle dans la science expérimentale, dans le cadre d’une étude des liens entre science et genre au xviiie siècle. C’est du Japon que vient une des premières sinon la première analyse approfondie de cette question, réalisée par Keiko Kawashima, professeur d’histoire des sciences à Nagoya (trad. A. Lécaille-Okamura, Champion, Paris, 2013). Ce livre reprend sous la forme d’un important essai, les articles sur ce sujet que l’auteur a publié dans des revues d’histoire des sciences depuis 1990.

Le rôle des salons

La question des liens entre sciences et genre se développe selon une dimension singulière au xviiie siècle, période pendant laquelle la science expérimentale et les théories scientifiques qui en sont issues deviennent des moteurs de l’activité intellectuelle. Dans ce domaine qui n’existait auparavant que surtout sous la forme des sciences de l’ingénieur et de l’observation, quelle place peuvent prendre les femmes, alors que dans le siècle des Lumières, l’éducation féminine demeure, dans l’immense majorité des cas, réduite à ce qui est nécessaire à la seule vie sociale ? Quelle serait alors la nature de leur relation avec les scientifiques et les philosophes hommes ? Keiko Kawashima enracine sa démarche dans le couple mis en scène par Fontenelle dans lesEntretiens sur la pluralité des mondes(1686), texte dans lequel un philosophe enseigne à une marquise, son amante, la cosmologie de Descartes. Ce personnage se situe dans la lignée des femmes d’esprit des salons littéraires, de plus en plus ouverts aux questions scientifiques ; elle illustre un changement profond dans l’image des femmes, dont on tient dans ces milieux, qu’elles ont la capacité de comprendre même les sujets les plus complexes. Madame du Chatelet, traductrice de Newton, est une sorte de développement de la marquise imaginée par Fontenelle. Elle ne se contente plus de transmettre, elle écrit des textes scientifiques complets, commente Newton, témoigne d’une connaissance avancée des mathématiques et de la physique de son temps : tout en restant dans son rôle de marquise, son souci principal, écrit Kawashima, est de voir la valeur de ses travaux reconnue, et particulièrement par une Académie des sciences exclusivement composée d’hommes. Sa querelle avec le secrétaire de l’Académie met aux premiers rangs des travaux scientifiques ses Institutions de physique (1740). Mais la reconnaissance internationale ne viendra qu’en 1748 avec son élection à l’Académie de Bologne, peu de temps avant sa mort en 1749. Sa quête de reconnaissance par ses pairs sonne en fait parfaitement moderne pour les scientifiques actuels.

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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