ÉMILIE
Les peintres du XVIIe siècle émilien
Ce qui attirait les voyageurs des deux derniers siècles – les guides anciens en font foi – , c'était la peinture du xviie siècle. De grandes expositions, organisées à Bologne depuis 1954, ont sorti de l'ombre les Carrache, le Guide, Dominiquin, l'Albane, sous-estimés jusque-là au nom de l'antiacadémisme. Mais les amateurs du xviiie et du xixe siècle en faisaient déjà leurs délices : « Tout est plein ici de la gloire et du nom des Carrache, écrivait Stendhal. Mon bottier, ce matin, m'a fait leur histoire mieux que Malvasia. » Louis, l'aîné, dont la peinture imprégnée d'un sentiment religieux de nature populaire a parfois des accents sombres et austères qui rappellent les Espagnols ; Augustin, le théoricien ; Annibal, le plus illustre de la famille. Est-ce de l'académisme, cette plénitude de la vie et des sens qui annonce le baroque de Rubens et de Bernin, ce sens du paysage qui prélude à l'art de Poussin, cette poésie de l'évasion heureuse qui se déploie dans le monde de l'allégorie et trouve son parfait achèvement à la galerie Farnèse, à Rome ? (Car c'est surtout à Rome que les peintres émiliens, issus de la fameuse académie des Incamminati fondée par les Carrache, ont créé leurs plus grandes œuvres). Le Guerchin (1591-1666) n'est-il pas déjà un romantique, lui qui promène son cavalier blanc sous la lune dans des paysages noirs et bleus ? Y a-t-il rien de plus spontané que les gris légers et les bouquets de fleurs avec lesquels un Domenico Canuti compose les charmants décors de la bibliothèque de San Michele in Bosco ? Et, au xviiie siècle, les Bibiena, architectes et graveurs, sont les poètes fantaisistes du théâtre baroque.
Aujourd'hui, ce qu'on appelle l'« autoroute du soleil » double la via Aemilia. Mais les natures mortes du Bolonais Giorgio Morandi (1890-1964), qui jouent subtilement des bruns, des ocres, des gris et des blancs, ont les couleurs austères des collines de l'Apennin. Les Muses inquiétantes de Giorgio De Chirico (1888-1978) se meuvent dans des paysages abstraits inspirés par Ferrare, et derrière la transcription moderne se devine l'influence d'un Cosmè Tura ou d'un Roberti : le présent se relie ainsi de façon inattendue aux traditions du passé. Il n'a pas disparu, ce paysage émilien que chantait Giosuè Carducci (1835-1907) :
Addio, grassa Bologna e voi di neraCanape nel gran piano ondeggiamenti,E voi pallidi in lunghe file a' ventiPioppi animati dal' estiva sera.(Adieu, plantureuse Bologne, et vous, dans la grande plaine, noirs ondoiements de chanvre, et vous, en vos longues files, pâles peupliers sous le vent, qu'anime la fin de ce jour d'été.)
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Écrit par
- Noëlle de LA BLANCHARDIÈRE : conservateur de la bibliothèque de l'École française de Rome
Classification
Médias
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