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KUSTURICA EMIR (1954- )

Emir Kusturica - crédits : Coll. Tout le cinéma/ D.R.

Emir Kusturica

Emir Kusturica a bénéficié d'une reconnaissance internationale dès son premier long-métrage, Te souviens-tu de Dolly Bell ?, primé à Venise en 1981. Le festival de Cannes lui décerne successivement la palme d'or pour Papa est en voyage d'affaires en 1985, puis Underground en 1995, et le prix de la mise en scène pour Le Temps des Gitans en 1988. Arizona Dream obtient l'ours d'argent du festival de Berlin, en 1993, et Chat noir, chat blanc le lion d'or à Venise, en 1998. Le succès tant critique que populaire de ce cinéma d'« auteur » vient de la singularité du regard porté par le cinéaste, né à Sarajevo et qui se dit avant tout « yougoslave », sur l'histoire contemporaine d'un « pays qui n'existe plus ».

« Lorsque la Yougoslavie a disparu, je suis devenu invisible », dit-il dans son recueil d'entretiens avec Serge Grünberg, Il était une fois... Underground (1995). Son histoire familiale le vouait, en effet, à l'écartèlement. Bien que ses ancêtres, des Serbes orthodoxes, se soient convertis à l'islam après la conquête ottomane, le cinéaste n'hérite pas des coutumes et rites musulmans : son père, athée et communiste, rejoint durant l'occupation allemande les partisans titistes majoritairement serbes. Quitte à être mis au ban de la communauté musulmane bosniaque dont il est issu, Kusturica n'avait d'autre choix que de défendre la seule culture à laquelle il puisse être fidèle : celle de la Yougoslavie de son enfance.

Le carnaval de l'histoire

Dans l'univers de Kusturica, le football est un autre visage de la guerre (il a consacré un film à Diego Maradona en 2008), et le son tonitruant des fanfares tsiganes accompagne aussi bien les beuveries amicales que les combats meurtriers. Ce mélange détonnant d'archaïsme et de modernité donne à ses films leur exceptionnelle force émotionnelle.

L'argument de ses fictions, où le lien fusionnel entre pères et fils et les amitiés indéfectibles le disputent en intensité aux haines politiques fratricides et aux amours contrariées, semble emprunté au fonds le plus archaïque de la culture européenne. À l'instar de la tragédie grecque qui traduit en déchirements familiaux les conflits dans la cité, Kusturica retrace l'histoire de la Yougoslavie depuis le nazisme (Café Titanik, réalisé pour la télévision en 1979), en passant par les années du socialisme titiste (Te souviens-tu de Dolly Bell ?, Papa est en voyage d'affaires), jusqu'aux guerres interethniques qui, après 1991, ont scellé l'effondrement de la confédération (Underground, puis, en 2004, La vie est un miracle).

Le modèle tragique étant toutefois impuissant à rendre compte d'une histoire collective aussi absurde que sanglante, la représentation accumule les registres antagonistes : burlesque, élégiaque, tragique, grotesque, mélodramatique ou merveilleux. Dans un chaos sonore indescriptible, le foisonnement de trajectoires impossibles à embrasser du regard, le heurt de corps jetés les uns contre les autres semblent entraîner bêtes, gens et caméra vers l'abîme, sous la pression d'un temps pris de frénésie.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de lettres modernes, maître de conférences (études cinématographiques) à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Média

Emir Kusturica - crédits : Coll. Tout le cinéma/ D.R.

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