CHABRIER EMMANUEL (1841-1894)
Un musicien français
On remarquera que Chabrier ne s'intéressa jamais aux grandes formes musicales romantiques. Il ne fut attiré ni par la symphonie ni par aucun des nombreux aspects de la musique de chambre. Cet ami de Franck et de ses disciples ne se laissa pas distraire de sa « vocation ». Il revêtit allégrement ces habits apparemment désuets que sont la romance, les courtes pièces de piano, l'opérette, l'opéra-comique, en dépit du mépris que les partisans de la « musique de l'avenir » portaient à ces vieux modèles « périmés » dans lesquels ils voyaient une des causes de la décadence de la musique française. Ce faisant, Chabrier retrouvait l'esprit de la tradition française de nos grands clavecinistes. Franck lui-même l'avait décelé qui, après avoir écouté les Pièces pittoresques, confiait : « Nous venons d'entendre quelque chose d'extraordinaire. Cette musique relie notre temps à celui de Couperin et de Rameau. » Comme eux, Chabrier avait moins cherché à construire son œuvre suivant un plan orgueilleux qu'à organiser ses sensations. Son humour énorme et délicat démystifiait la pédanterie, la vaine éloquence qui, trop souvent, se cachent derrière l'attitude sublime du romantique. S'il fut sublime, il le fut à sa manière, familièrement pourrait-on dire, avec le plus entier abandon, cherchant à préserver – « et c'est ça le plus dur », disait-il – cette naïveté qu'il jugeait indispensable au véritable esprit de création. Aux mystères vagues de l'ombre, il préférait ceux, non moins profonds, de la clarté : « C'est très clair, cette musique-là », écrivait-il à ses éditeurs au sujet d'une de ses œuvres, « ne vous y trompez pas et ça paie comptant : c'est certainement de la musique d'aujourd'hui ou de demain, mais pas d'hier... Ce qu'il ne faut pas, c'est de la musique malade ; ils sont là quelques-uns, et des plus jeunes, qui se tourmentent tout le temps pour lâcher trois pauvres bougres d'accords altérés, toujours les mêmes, du reste ; ça ne vit pas, ça ne chante pas, ça ne pète pas. »
Toutes ces préoccupations étaient aussi celles de ses amis, les peintres impressionnistes, incompris alors, dont les toiles garnissaient les murs de son appartement. Manet, auquel le lie la plus tendre des amitiés, a le même langage : « Qui nous rendra le simple et le clair ? Qui nous délivrera du tarabiscotage ? » Et Renoir s'accorde également avec lui lorsqu'il assure : « Un tableau doit être une chose aimable, joyeuse et jolie, oui jolie. Il y a assez de choses embêtantes dans la vie pour que nous n'en fabriquions pas encore d'autres. Je sais bien qu'il est difficile de faire admettre qu'une peinture puisse être de la très grande peinture en restant joyeuse. On ne prend pas au sérieux les gens qui rient. L'art en redingote, que ce soit en peinture, en musique ou en littérature, épatera toujours. » De même que ceux-ci répugnaient à une hiérarchie des genres et haussaient au grand art des motifs quotidiens ou frivoles (une serveuse de bar ou une chanteuse de café-concert), Chabrier, au mépris des catégories – « Je ne connais que la bonne et la mauvaise musique et celle d'Ambroise Thomas », aimait-il à dire –, composait de la musique sérieuse avec des opérettes, de courtes pièces pour piano et des romances. Cependant, à cette légèreté de la touche, à cette fluidité de l'écriture, à ce thème de l'eau qui inspire tant de ses œuvres, des plus courtes aux plus ambitieuses, comme Gwendoline et Briséis, et qui anticipe sur toute la musique liquide des Debussy et Ravel, se mêle un thème non moins puissant : celui de la terre.
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Écrit par
- Roger DELAGE : professeur au Conservatoire national de région de Strasbourg, chef d'orchestre du Collegium musicum de Strasbourg
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