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KANT EMMANUEL (1724-1804)

Une nouvelle conception de la philosophie

La métaphysique en question

La première ambition annoncée par le mot « critique », qui se retrouve dans le titre des trois œuvres capitales de Kant, est celle de décider une bonne fois du sort de la métaphysique, de s'assurer qu'elle est possible et d'en faire une science.

Ce nom de métaphysique formulait une prétention à acquérir la connaissance d'objets qui se situent au-delà de la nature, dont l'expérience sensible permet à la physique de faire la science : cet être de tous les êtres et qui en est la première cause ou Dieu, cette substance incorruptible qu'est l'âme immortelle de l'homme, cette liberté qui, en le mettant à part du règne de la nécessité dans la nature, lui assure l'initiative de ses actions et lui permet d'en répondre. Que cette prétention doive pouvoir trouver satisfaction en quelque manière, Kant n'en a jamais sérieusement douté : ces questions engagent les intérêts les plus puissants de l'homme, au point qu'un retour à la barbarie les verrait tout aussitôt se poser à nouveau ; elles doivent avoir un sens puisqu'elles manifestent une tendance que la nature, qui ne fait rien en vain, a mise en lui.

C'est un fait cependant que, loin de progresser de ce pas assuré qu'on a vu prendre aux autres sciences, la métaphysique n'a cessé au contraire d'offrir le spectacle humiliant pour la raison humaine d'un perpétuel champ de bataille où les philosophes s'affrontent depuis des siècles en des combats sans issue. Alors que les démonstrations irréfutables départagent les mathématiciens et que le calcul et l'expérience permettent aux physiciens de s'accorder, toute procédure d'arbitrage fait défaut chez les métaphysiciens. La métaphysique, procédant uniquement par concepts, n'a pas la ressource qui fait le privilège de la mathématique de pouvoir leur donner une évidence irrécusable en les construisant dans une forme pure d'intuition (comme l'espace en géométrie, par exemple), ni celle de les rapporter à l'expérience pour en dénoncer les lois comme le fait le physicien, qui peut ainsi prévoir exactement les phénomènes. Livrée à elle-même, en métaphysique, la raison devient dialectique ; les conclusions de ses raisonnements sont contestées, sa législation se fait antinomique et elle se montre incapable de trancher entre les thèses qui s'excluent.

Et pourtant, puisqu'en ce domaine elle n'a affaire qu'à elle-même, elle devrait pouvoir résoudre les problèmes qu'elle se pose et qui ne lui sont pas imposés par la variété infinie des objets, la richesse inépuisable des choses. Qu'elle en soit définitivement incapable pourrait nous faire perdre toute confiance en elle et engendrerait le scepticisme. Le succès qu'elle connaît ailleurs et qu'attestent les progrès incessants des mathématiques et de la physique conduit plutôt à soupçonner que sa singulière destinée en métaphysique, où elle ne peut pas plus esquiver les questions que leur donner une réponse, provient d'un malentendu, d'une méprise que l'on doit pouvoir dissiper : il y a une énigme à déchiffrer et sans doute une nouvelle route à trouver. Si l'on parvient à savoir comment les mathématiques et la physique ont acquis le statut de sciences et ce qui les caractérise comme telles, on disposera du même coup d'un critère permettant de décider de l'aptitude de la métaphysique à y parvenir et de trouver la voie qu'elle devra suivre à cette fin.

La synthèse a priori, problème général de la raison

Que, sans recourir à l'expérience, un jugement attribue un prédicat à un concept où il le découvre implicite, ou qu'à l'inverse il trouve dans les données de l'expérience de quoi l'enrichir, voilà qui laisse sans [...]

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